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Des mots en forme - Page 6

  • Exercices de style

    b579392226271dbf86472ece6983d8bd.jpgQuatrième de couverture, Folio poche, Exercices de style, Raymond Queneau :
    « Le narrateur rencontre, dans un autobus, un jeune homme au long cou, coiffé d’un chapeau orné d’une tresse au lieu de ruban. Le jeune homme échange quelques mots assez vifs avec un autre voyageur, puis va s’asseoir à une place devenue libre. Un peu plus tard, le narrateur rencontre le même jeune homme en grande conversation avec un ami qui lui conseille de faire remonter le bouton supérieur de son pardessus.
    Cette brève histoire est racontée quatre-vingt-dix-neuf fois, de quatre-vingt-dix-neuf manières différentes. Mise en images, portée sur la scène des cabarets, elle a connu une fortune extraordinaire. Exercices de style est un des livres les plus populaires de Queneau ».


    Voici, en quelque sorte, une centième version :  

    Physico-chimique

        Un vingt et un juin, à midi dix sept minutes UTC, dans l’hémisphère Nord, je montai dans un solide S parallélépipédique se déplaçant initialement d’un mouvement de translation quasi rectiligne, en première approximation uniformément accéléré. La chaleur des occupants du solide S, rempli d’une mélange gazeux enrichi en dioxyde de carbone et à une température de 303 K, apportait une quantité de chaleur Q positive et conséquente à mon corps qui venait s’ajouter à celle reçue auparavant sous forme de rayonnement infrarouge, provenant du Soleil.
        Au bout d’une trentaine de secondes, le mouvement du solide S fut uniforme : il était maintenant assimilable à un référentiel galiléen et si j’avais voulu décrire la trajectoire du centre d’inertie G du chapeau, orné d’une tresse et vissé sur le crâne d’un jeune homme au cou vertical et trop long, en chute libre dans le référentiel terrestre supposé galiléen, les équations horaires du mouvement auraient été dans leur forme générale : z = 1/2gt2+V0z+z0
        Le jeune homme, vulgaire assemblage d’atomes de carbone, d’hydrogène, d’oxygène et d’azote pour l’essentiel, fit ensuite vibrer ses cordes vocales intensément, donnant naissance à une onde longitudinale de compression-dilatation qui se propagea dans toutes les directions du mélange gazeux contenu dans le solide S : cet individu se plaignait que son voisin lui imposait un champ gravitationnel trop intense du fait de sa position trop proche de sa personne. Le jeune homme se mit ensuite en mouvement et abaissa son centre de gravité en s’asseyant.
        A des coordonnées différentes d’espace-temps, je rencontrai à nouveau le jeune homme avec un camarade qui lui expliquait qu’il devrait ajouter un bouton à son pardessus pour augmenter l’interaction électromagnétique entre les deux parties de son manteau.

  • Zébulon

     

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    Chez mon papy, il y a un chien tout rond
    qui s’appelle Zébulon.
    Je lui tire la queue
    il me fait des bleus
    Je lui mords la patte
    il a des stigmates.
    Je lui donne de l’eau
    Il me prend de haut.
    Et quand Zébulon
    blanc comme un flocon
    se rue dans ma chambre
    une nuit de décembre
    et qu’il me renverse
    comme une controverse
    ça me fait bien mal
    tel un maréchal
    Je vois des étoiles,
    comme un os à moelle
    Et ça tourbillonne
    tel un hexagone
    Y a des choses bizarres
    comme un gros lézard
    qui se carapate
    telle une grande frégate
    sur le papier peint.
    Je n’suis pas à plaindre
    et mon gros toutou
    comme un beau filou
    me fait des câlins
    en un tournemain.



     

  • Boisson et création

    "Si les artistes boivent, c'est qu'ils ont besoin de calmer la sensibilité qui les dévore". Truman Capote 5deec623dfb5a22cc7d69aca5d8f6acb.jpg

  • C’est un vieil homme debout à l’arrière du bateau

    Toujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

    Philippe Claudel, la petite fille de M. Linh : "C’est un vieil homme debout à l’arrière du bateau"e7f7bdbb66027349493efb77ff7ce3e6.jpg.

    C’est un vieil homme debout à l’arrière du bateau. Ce n’est pas un long paquebot, haut comme plusieurs étages, trapu et briqué comme un soulier neuf, où il pourrait s’accrocher au bastingage. C’est une toute petite embarcation. Sommaire même. Dangereuse assurément. Il serre sur lui un vieux sac en cuir, usé aux coutures et passé à cause du soleil de son pays. C’est son trésor, à lui. Ce qu’il lui reste de là-bas, là où son regard se perd dans l’immensité bleue des flots. Là où il est né. C’était il y a bien longtemps. Du temps où on allait au marché avec un vieil âne. Maintenant, c’est bien différent. Il y a les automobiles et la parabole. Cette maudite télévision qui a fait croire à ses enfants que de l’autre côté de la mer, c’est bien mieux. Et il les a vus, un par un, ses cinq garçons, s’enfuir comme des mal propres pour franchir la méditerranée. Il a pleuré, en secret mais il n’a pu les retenir.
    Les années ont passé et les grands parents se sont allés, fatigués du soleil et de l’impatience des jeunes peut-être. Sa femme est morte aussi, le cœur lourd gorgé de tristesse comme une éponge d’eau alors il lui semble qu’elle cherchait un prétexte et elle est morte en couche. Personne n’a rien pu faire. L’hôpital, à la ville, était bien trop loin.
    Il sent le vent sur sa joue fatiguée et déjà, il le sent plus frais. Ce n’est plus le vent de son pays. C’est le vent marin, salé, bien différent de celui qui a soufflé le chaud sur les plaines qu’il a tant arpenté : un vent à l’odeur aride, sec comme un caillou. Il se tourne et il les observe. Ils sont jeunes et forts. Plein d’espoir et de courage devant ce qui les attend. Il les envie, un peu. Lui n’a plus rien, pas même d’espoir. S’il a tout vendu pour être sur cette coquille de noix, ballotée par la houle, ce n’est certainement pas qu’il espère quelque chose de la vie qui l’attend là-bas, dans le nouveau pays de ses enfants. Non, c’est plutôt qu’il n’y a plus rien qui le rattache à sa terre natale.
    Alors il a tout vendu et un matin quand le soleil venait de franchir l’horizon et que déjà l’air dansait au loin sous la chaleur de l’astre, il est parti avec son vieux sac en cuir à moitié vide. Il avait pris une toile qu’il avait choisi bien résistante, avait mis ce qu’il convenait d’y mettre, l’avait noué et avait déposé le tout dans son sac précautionneusement. Et il avait pensé qu’il était grand temps de partir, son cœur avait trop séché à force de se parler à lui-même et il ne voulait pas qu’il ressemble à une vieille pierre bien dure.
    Maintenant il est plus serein. Il va mourir près de ses enfants, si dieu le veut bien. Ou en mer, si le destin en décide autrement. Mais il n’a pas de regrets.
    Il y a l’eau, écumeuse qui vient taper sur le bateau balancé par la houle, toute cette immensité d’eau qu’il lui rappelle presque avec ironie que la terre qu’il a tant travaillé avec ses mains devenues calleuses était si sèche, et c’est avec le vent qui se lève, avec de gros nuages gris qui se pressent à l’horizon, qu’il sait que son voyage va se terminer là, maintenant, au milieu de l’océan avec son sac en cuir rempli d’un peu de terre de son pays. Mais il n’a pas peur, il serre son sac près de son cœur.

     

  • L’autocar a tourné trois fois sur l’esplanade qui borde le port du canal

    ecd4e959d41537cc7195de0eb39d98b8.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.
     
    Philippe Claudel, Quelques-uns des cent regrets : "L’autocar a tourné trois fois sur l’esplanade qui borde le port du canal, sans raison apparente, comme si le chauffeur voulait faire sentir aux rares occupants l’âpreté des ornières et le défaut des amortisseurs".


    L’autocar a tourné trois fois sur l’esplanade qui borde le port du canal, sans raison apparente, comme si le chauffeur voulait faire sentir aux rares occupants l’âpreté des ornières et le défaut des amortisseurs. Le ciel était bas, pareil à une enclume floconneuse flottant sur l’eau. Mon voisin se leva mais je ne lui emboitai pas le pas. J’étais las et faire un geste me coûtait. Il y avait tous ces gens qui s’étaient levés d’un bond et qui me semblaient si lointains. Je n’arrivais pas à m’imaginer qu’ils pouvaient m’être semblables. J’esquissai un geste mais mes mains retombèrent. Je fis traîner mes yeux dehors où la brume avait nimbée la petite troupe qui s’était massée près de l’autocar d’une lueur nébuleuse, étrange, ineffable.
    Ils parlaient entre eux et moi, j’étais là, sur mon siège, à me dire que j’aurais pu très bien me lever comme eux, dès l’arrêt du car mais mes muscles s’y étaient refusés comme si chaque nouveau geste, chaque initiative — si le fait de se lever comme tout le monde peut être appelé ainsi — me coûtait un effort surhumain, au-delà de mes capacités du moment. Finalement après réflexion, ce n’était peut être pas le geste en lui-même qui me pesait le plus mais la décision que je ne me résolvais pas à prendre.
    Aucune volonté, voilà ce qui me caractérisait. Je n’avais plus aucune volonté. Il m’aurait fallu un poisson pilote pour me charrier jusqu’à la sortie de l’autocar.
    Enfin le ridicule fut plus fort et rester seul, comme un idiot sur mon siège pour je ne sais quelle raison, m’obligea à me lever et à m’entraîner en dehors de ce fichu car.
    J’étais sauvé mais pas pour longtemps car à chaque résolution le même manège inquiétant, ripoliné de tous mes échecs, estampillé de mes rêves brisés, enténébré par ma seule lâcheté et ma paresse, se mettrait en branle.
    J’étais comme seul au monde. Et les gens qui me dévisageaient, étaient aussi ceux qui ne semblaient pas vouloir me laisser s’approcher d’eux. Mes gestes gauches sans doute, mon abattement, que je trainais comme un fardeau aussi lourd qu’une berline gavée de houille, étaient sans doute des obstacles à ma bonne intégration au groupe.
    Nous marchâmes un peu, le guide devant qu’on avait peine à entendre derrière, là où je me trouvais. Après un chemin caillouteux et miné de mauvaises herbes, nous parvînmes à une place oblongue où semble-t-il une halte s’imposait. J’embrassais du regard l’ensemble des lieux et ne remarqua rien d’extraordinaire hormis quelques pierres usées et moussues qui avaient été disposées là, sans doute, à l’aide d’un ventilateur géant ou du moins ce monceau ne me frappa pas par son organisation méthodique. Mais le guide, à ma grande surprise, nous appris que tout ça avait était une église romane.
    Ces pierres dataient du IVème siècle avant J.C. Elles avaient traversées tous ces siècles à la manière de petits bateaux en papier ballotés sur le flot tumultueux du temps qui passe. Et dame nature avait posé son bienveillant manteau sur cet édifice, lui apportant pluie et neige, chaud et froid, bise et tempête, l’usant insensiblement avec une douceur presque maternelle. L’Homme, quant à lui, n’avait pas ces scrupules qu’ont les faibles et les sensibles, il l’avait profané, au rythme de ses guerres, de ses conquêtes, lui envoyant ses boulets, son feu ravageur, ses pillages et ses saccages. Et le résultat après deux millénaires de vicissitudes était ce tas informe que des touristes aigris, bronzés, en chaussure de marche, le numérique autour du cou ou dans la main comme un troisième œil scrutateur qui remplace les deux autres et qui enregistre en rafale des tas d’images qu’on ne regardera probablement pas.
    Je m’assis. Ils mitraillaient mais ils ne regardaient pas. Ils se cachaient derrière le petit écran de leur appareil photo où le monde leur apparaissait surement plus propre et plus ordonné à travers tous ces fichiers jpeg qui défilaient avec leur petit numéro dans la mémoire de la carte flash.
    Il me semblait que tout était là. Les rêves brisés d’une humanité désenchantée, la barbarie de l’Homme qui n’a pas faiblie depuis la nuit du temps. Plus je regardais cet amoncellement de pierres et plus je me disais que nous sommes bien fragiles. On se donne tous des airs de supériorité mais on est bien peu de chose. Le sens de la vie que nous cherchons tous, la mort, voilà des choses qui nous réunissent.
    Je remontai dans le bus et m’assis à côté d’une jeune femme. Ces pierres m’avaient fait du bien. Je regardais à travers la vitre et vit un reflet de mèches blondes qui me fit sourire. J’en fus presque surpris.
     
     

  • C'était l'hiver et il faisait nuit

    6e76ab70a5cb47eb5fbd92ec8f990305.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.
     
    Jean-Patrick Manchette, La position du tireur couché : "C’était l'hiver et il faisait nuit".
     
     
    C’était l’hiver et il faisait nuit. Une nuit sale, moche et grise. Une nuit où j’aurais préféré rester dans mon lit, la tête à peine surnageant des couvertures en laine, pelotonné sous les draps, au chaud, tranquille, loin des autres. Comme dans un cocon où plus rien ne pourrait m’atteindre, où plus personne ne pourrait me faire du mal.
    Je l’entendais, tandis qu’elle montait les marches, les faisant craquer toutes, sous son poids de baleine. Parfois quand j’étais seul dans ma chambre, il me plaisait à penser qu’elle ne devait jamais se peser car dans le cas contraire, elle aurait explosé la balance et je voyais dans ma rêverie les divers morceaux et mécanismes lui arriver en pleine face et s’écraser après une trajectoire parabolique sur divers bibelots qu’elle affectionnait particulièrement. Tout cela resta à l’état de songe et je ne sus jamais si le gros tas de graisse que mes parents nommaient « ta sœur » avait un jour mis son gros pied adipeux aux doigts boudinés sur un instrument de mesure de la masse humaine et j’avais peine à croire en voyant cette boule de graisse oblongue, saucissonnée dans un demi-bas, appelée pied que les lipides claquemurés sous sa peau ne se fassent pas la malle à travers les pores et je n’aurais pas été étonné de voir un jour s’écouler un liquide jaune semblable à de l’huile jaillir de ses extrémités.
    Tout en elle me donnait la nausée et me révulsait. Il y avait d’abord son corps, gras comme du cochon. Sa démarche ensuite, une démarche hommasse, avec ses épaules de déménageur. Et enfin sa voix grasseyante et de stentor, à croire que sa graisse s’était infiltrée jusqu’à ses cordes vocales.
    Je l’entendais brailler comme si elle eut été sur le marché en train de vendre du poisson pas frais. Plus la marchandise est dégueulasse, plus il faut gueuler pour vendre toute cette merde. La demi-tonne, comme j’aimais l’appeler en secret, arriva sur le palier qui trembla.
    —    Tu vas descendre ton cul ou faut-il que je vienne te chercher ? beugla-t-elle.
    —    J’arrive, répondis-je.
    —    J’arrive… j’arrive… Ça fait une heure que je t’appelle… Tiens prends ça.
        Un peu sonné mais finalement habitué à ce trop plein d’amour fraternel, je consentis à suivre demi-tonne. Nous descendîmes donc les marches moi devant, ma sœur derrière, me surveillant du coin de l’œil. L’escalier en chêne lança de nouveau sa plainte mais cela ne parvint pas à réveiller nos parents qui ronflaient au rez-de-chaussée.
    Dehors la nuit nous cueillit. Dans ses bras frais et ténébreux, elle nous entraîna en silence vers la destination. Les branches craquaient sous nos pas et il me semblait que tout autour de nous la forêt bruissait en un léger froissement, sans que nous puissions discerner d’où cela provenait. La lune pleine et laiteuse nous offrait assez de clarté pour que nous puissions progresser sans lampe. Et à mesure que nous nous rapprochions de l’endroit, à mesure que mes sens se remémoraient tout ce que j’allais subir, mon cœur s’emballait, tapait comme un sourd sous mes côtes comme celui d’un petit animal blessé dans les griffes d’un prédateur.
    La ville réapparut derrière les arbres et avec elle, se dressèrent les ombres longues et menaçantes de tours fantomatiques. Le quartier était là, la gueule ouverte, prêt à me happer et à m’entraîner dans ses catacombes. Nous marchâmes encore un peu puis nous nous enfonçâmes sous terre. Il y eut une volée de marches humides et glissantes, un mur aux tags moches et dégueulasses puis nous redescendîmes, nous engouffrons toujours plus loin dans le monstre urbain obscur, aux couloirs sombres, crasseux, humides, interminables et pisseux, aux portes métalliques rouillées et taguées. Il y avait ces personnes qui à mesure que nous approchions semblaient s’amasser sur notre passage comme des cafards, des coprophages de la misère humaine, à tel point que nous progressions de plus en plus difficilement. Je sentais l’haleine tiède de ma sœur sur ma nuque et j’étais poussé de tous côtés par la foule grouillante vers la lumière où crépitaient de vieux néons, vers cette salle qui m’apparaissait à chaque fois que j’y pénétrais comme oppressante, caverneuse, sans issue. S’il y avait un enfer sur terre, c’était bien ici.
    Les paris furent lancés, l’argent circulant de main en main ; ma sœur aux pommettes devenues rosées jubilait, ses pognes plein de billets.
    Comme à l’accoutumée, des bandages furent enroulés autour de mes mains, les mains du champion comme ils disaient, il fallait les préserver, c’était leur magot, leur assurance de pouvoir continuer leurs paris de merde alors que ma gueule, amochée ou pas, ça n’avait pas d’importance.
    Devant moi, un jeune enfant chétif, pâle comme un moribond, dégoulinant de sueur, tremblait. Je voulais hâter le combat pour qu’il ne souffre trop et je lui décochais un crochet du droit. J’espérais le sonner le plus vite possible.
    Mais je savais qu’après lui, il y en aurait un autre, et un autre et encore un autre… jusqu’à ce que ma gueule vienne se frotter au béton de la cave et là, ils seront satisfais, la bave leur coulant aux commissures des lèvres, trépignant, hurlant, gueulant leur rage et leur joie, leur haine et leur espoir, il n’y aura plus que leurs baskets hideuses, toutes les mêmes, la chaleur, la sueur et le sang. Comme s’ils devaient laver leur désillusion avec le sang des autres.

  • C'était un plaisir tout particulier de voir les choses rongées par les flammes, de les voir se calciner et changer.

    7cd517419d069cedd6ed3c73276a5177.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

     
    Ray Bradbury, Fahrenheit 451 : "C’était un plaisir tout particulier de voir les choses rongées par les flammes, de les voir se calciner et changer".

    C’était un plaisir tout particulier de voir les choses rongées par les flammes, de les voir se calciner et changer. Ce sentiment, je ne m’aurais pas cru capable de le faire mien. Tout cela m’appartenait et voir disparaitre mon refuge comme je l’appelais, happé par les flammes orange tortueuses et dansantes, me laissait indifférent.
    Un peu de papier journal avait suffi. Et la cabane s’était embrasée. Il n’y avait pas eu de fulmination mais plutôt une espèce de bruit ridicule, atténué, flemmard quand les flammes qui léchaient la toiture en rondins avait brutalement, avec l’appel d’air, avalé telle une bouche géante la cabane.
    J’étais sceptique au départ sur la réussite de mon projet, ne disposant de pas grand-chose mais mettre le feu est véritablement un jeu d’enfant. Ce doit être pour cette raison que tant de pyromanes pullulent entre les lignes des faits divers des journaux.
    Je me suis reculé, la chaleur au début agréable presque maternelle devenait insupportable. Ce n’était plus qu’une torche oblongue de laquelle décampaient d’âcres fumées noires, des volutes cendrées qui se tortillaient dans le ciel azuré et plein de promesses. Il était maintenant difficile d’imaginer ma cabane derrière ce mur de feu où le bois igné crépitant, craquant de tout part, menaçait de s’écouler à chaque instant. Le spectacle dura longtemps et je finis par m’asseoir dans l’herbe, ne pouvant plus détacher mon regard de mon chez-moi qui partait en fumée, calciné de mes propres mains.
    Quand tout fut fuligineux, quand le bois noir qui crépitait à peine et timidement ne laissa même plus entrevoir quelques braises, quand les fumées se dissipèrent comme une volée de corbeaux derrière une colline, je pris mon sac de toile et partis sans me retourner. C’en était fini. Fini de cette vie de reclus où chacun de mes gestes pouvait me faire arrêter. Fini de me cacher. Fini de trembler à chaque fois qu’une voiture de police ou de gendarmerie croisait ma route.
    J’avais tout brûlé. Mon livret de famille, ma carte d’identité, mon passeport, les photos, mes souvenirs personnels. J’avais rasé ma barbe et coupé court mes cheveux que j’avais ensuite décoloré à l’eau oxygénée vingt volumes.
    J’étais un autre homme. Enfin je voulais l’être et espérais l’être.
    C’était une nouvelle vie qui s’annonçait au bout du sentier, et je l’espérais meilleure que la précédente.
     

  • Le verbe lire ne supporte pas l'impératif

    6532aeff1ec97b90c38062c25f13cbea.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.
     
    Daniel pennac, Comme un roman : "Le verbe lire ne supporte pas l'impératif".
     
    Le verbe lire ne supporte pas l’impératif. Elle avait beau nous le répéter « Lisez !», « Mais lisez donc ! Que diable !». Son martèlement pédagogique, ses intimidations d’un autre âge n’y faisaient rien. Les trente têtes de la 3ème1 ployaient un peu dans la petite salle de classe du préfabriqué mais elle pouvait toujours causer, notre prof de français, 380 grammes de Stendhal, La Chartreuse de Parme, Folio, 700 pages, écrit en petit caractère ne pesait pas bien lourd face au vélo, roller, sarbacane et console Atari.
    Rien qu’à le prendre entre les pognes, on en avait le vertige : comment un gars, de son vrai nom Henri Beyle, pouvait avoir écrit un pavé pareil ? C’était incompréhensible pour notre pauvre cervelle d’ado. Et le plus extraordinaire est que des gens avaient non seulement lu tout le bouquin mais en plus, l’avaient apprécié ! Là, ça nous en bouchait un coin. De l’admiration pour cette Béatrice Didier ! Elle avait même écrit dans cette Postface qu’elle avait eu une « joie inaltérable ». Et sur la quatrième de couverture, on pouvait lire de Balzac : « M.Beyle a fait un livre où le sublime éclate de chapitre en chapitre ». Pourtant c’est peu dire si on avait essayé moi et Pascal, y avait rien à faire, c’était indigeste, comme de la choucroute froide.
    Le début par exemple : « Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur ». Le début d’un roman ne devrait pas être écrit pour allécher le lecteur ? Nous étions sceptiques.
    Evidemment nous avions un plan de lecture : pour ingurgiter les 554 pages du roman, il fallait qu’on nous découpe l’effort, qu’on le tronçonne à la manière d’un rosbif bien saignant, le débitant en minces tranches plus facilement digestes. J’avais donc suivi ce régime forcé mais en l’adaptant quelque peu.
    J’avais lu l’essentiel, la préface, l’avertissement, la postface, le dossier : la vie de Stendhal, les sources, l’article de Balzac et les passages recomposés par Stendhal et enfin les notes. Pour ce qui est du roman lui-même, le découpage professoral avait été un peu malmené. J’avais bien tenté de me laisser emporter par la vague Stendhalienne mais ces soirs-là, blotti dans mon lit rustique, la tête calée par un gros oreiller mou, à la lumière pâle de la lampe, la déferlante s’était transformée en vaguelette me laissant penaud sur la grève, les paupières lourdes, happées par la gravité, avides de se fermer pour de bon, comme l’épais folio gisant sur le matelas. Les lignes dansaient devant mes yeux, un épais brouillard et je lisais mécaniquement, sans plaisir, les mots succédant aux mots, pour finir en bas de la page à me rendre compte que j’avais perdu le fil de l’histoire. Alors je recommençai, revenant en arrière et il y avait ce bruit angoissant de la pendule posée sur la table de nuit égrenant les secondes ; je n’avançai guère. Un fiasco. Il me restait tant à lire et il fallait bien dormir alors j’élaguais, je tronçonnais des paragraphes puis des pages entières et pour finir, honteux, je sautais des chapitres dans leur intégralité.
    En classe, le résultat ne se fit pas attendre. Première interrogation, un désastre…
    Alors il y eut une bouée de sauvetage : lecture en diagonale comme pour mieux se prouver à soi même qu’on est quand même capable de lire, en partie, ce foutu bouquin avec un renfort mince et rouge mais de taille : le Profil. Le fameux Profil. Rassurant avec son résumé qui nous fait croire que sa possession nous dispense de lire ce fichu bouquin.
    Avec ce livre svelte, tout est plus simple, Fabrice del Dongo nous apparaitrait presque sympathique. L’histoire, enfin, on la découvre et si vite en plus. Comme un voleur qui se serait escrimé à entrer dans une demeure, tentant de fracturer une porte ici, essayant de se faufiler à travers une lucarne là, et finissant par découvrir les clefs de la maison dans une jardinière.
    Voilà j’avais les clefs du bouquin. Enfin je croyais les avoir. Une illusion. Car les interrogations qui suivirent se révélèrent aussi catastrophiques.
    A l’époque, je ne compris pas pourquoi.
    Maintenant je sais.
    Je sais que le verbe lire ne supporte pas l’impératif.
    Et quand il n’y a pas de plaisir dans la lecture mieux vaut tout arrêter. Et ce n’est pas un résumé qui peut pallier la lecture d’un ouvrage car l’histoire n’est pas tout, il y a les personnages, le style, les dialogues… tout ce qui fait la vie d’un roman.
    Alors j’aurais aimé avoir lu, à l’époque, le livre de Daniel Pennac, Comme un roman. Car j’aurais pu répondre à ma jeune professeur de lettres et de latin, que je faisais mienne « les droits imprescriptibles du lecteur » de Pennac en particulier, les numéros 1 et 3.
    Le numéro 2 (« le droit de sauter des pages ») sans le savoir, j’en avais abusé.
    « 1. Le droit de ne pas lire
    3. Le droit de ne pas finir un livre ».

  • La balle de 22 fit un petit trou dans la toile

    3332dd7cbcdd858014a75d6e33ee04c5.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.
     
    Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid, Laissez bronzer les cadavres ! : "La balle de 22 fit un petit trou dans la toile".
     
       La balle de 22 fit un petit trou dans la toile. Imperceptible de loin. Pareil à la gentillesse sur un visage.    
        Sans perdre de temps, Hector manœuvra la coulisse de son fusil, un Anschütz modèle 1911, éjectant la douille puis introduisit une balle de calibre 22 LR Stinger. C’était bien la première fois qu’il ratait sa cible. Il regarda ses mains : elles tremblaient autant qu’un vieux moteur diésel en plein hiver.
        En face, l’homme, affolé par la détonation, s’était jeté à terre et enlevait maintenant son harnais pour se désolidariser de son parachute qui ondoyait lentement dans le vent et qui gonflait comme la robe d’une jeune femme.
        Une erreur aussi grossière, il ne se l’expliquait pas. L’homme était à quelque deux cent mètres : une distance raisonnable. Avec sa propre arme qu’il utilisait régulièrement en compétition, il était capable d’atteindre une cible de 5 à 10 cm de diamètre se trouvant à 300 mètres. Alors pourquoi ? Vent latéral ? La balle avait déviée verticalement. Ce n’était pas ça. Il pensa tout à tour, au réglage de la détente, qu’il n’avait pas changé, à la lunette de visée, qu’il avait vérifié, au chargement de ses munitions, qu’il réalisait lui-même. Non, il ne se satisfaisait d’aucune explication technique. Il fallait chercher ailleurs.
        Il repensa à son enfance, exfoliant ses souvenirs un à un comme pour mieux chercher l’intrus. Il se revit enfant, candide et déjà triste, à l’allure ridicule dans ses vêtements trop amples, avec son pull à col roulé cyan, les habits de son frère aîné, des habits  que sa mère ne pouvait plus payer et qu’ils devaient se partager. C’était comme une injustice, qui sourdait de son ventre et qui irradiait dans tout son corps ; c’était comme un bruit sourd qui tapait fort sur ses tempes, dans son crâne, un méchant démon qui lui criait que la vie est une énorme sentine où les âmes aiment à se vautrer, et où il ne faut rien attendre de la vie, de ses parents. Il aurait voulu hurler tout çà, le gueuler comme son père pouvait faire quand il rentrait soul à la maison et qu’il s’étalait dans le salon, comme un porc dans sa souille, la gueule par terre, près de son vomi, reniflant les poils du chien, un bâtard crasseux. Quelquefois il n’était pas assez ivre et là, sa main lourde ne servait pas qu’à trinquer avec ses compagnons de beuverie. Il aurait voulu que tout ça sorte, comme quand son père débagoulait l’alcool, la bile et du sang parfois. Que les mots jaillissent en cascade, pêle-mêle à la limite, mais rien ne se produisait. Il était aphone, l’estomac noué, rentrant ses épaules et ses illusions dans ce qui lui restait de dignité. Il n’était qu’un enfant, petit, craintif qui aurait voulu que tout se passe autrement.    
        Il se ressaisit. Tout cela était vain. Tout cela était loin. Il arrêta de faire vagabonder ses pensées et se concentra sur son travail. Il recala de nouveau son corps correctement de manière à être correctement allongé et à bien avoir la crosse du fusil dans le creux de son épaule, le fût en arrière de l’appui. Il glissa son majeur sur la détente et se concentra sur sa respiration qu’il voulait la plus douce possible. Cible mouvante et debout à présent, guidon et lunette de visée furent alignés doucement, sans précipitation. Il bloqua sa respiration et appuya d’abord sur la détente tendrement comme des lèvres timides et amoureuses, puis avec plus d’ardeur mais toujours avec maitrise. En bout de course, l’arme fit feu.    
        Cette fois-ci, dans le thorax. Il éjecta la douille, réapprovisionna et fit feu une nouvelle fois : une deuxième balle qui se logea dans la tête du parachutiste qui s’effondra, mort.   
        Une dernière fois, il fit aller la coulisse de son fusil, prit un chiffon pour ramasser les trois douilles puis fourra le tout dans un sac en toile. Il démonta son fusil et le rangea précautionneusement dans une mallette.   
        Il était rassuré, il n’avait plus raté sa cible.
       Il retourna à son véhicule, un sourire aux lèvres, léger comme l’éther ou comme l’air qui s’échappait du mort à quelques pas de lui, soulevant une dernière fois la poitrine du parachutiste, le dernier souffle, une exsufflation de trépassé, les derniers gaz qui dans un ultime élan quittaient cette enveloppe alvéolée qui ne gonflera plus jamais.

  • Belle métaphore

    47d98d15fbfca5e6c4ce7d0c0425a3ba.jpg"Tassée sur sa butte, la laide église décapitée soulevait lourdement ses épaules veuves au-dessus du paysage fuligineux."

    Julien Gracq 

  • Belle comparaison

    6ab14e1ea844faf5d4c6a10911018046.jpg"Une espèce d'hurluberlu long comme une perche à houblon, noir comme un bâton de réglisse, fendu d'un sourire à faire rêver un fabricant de pâte dentifrice."

    Patrick Virelles 

  • Je dois dire que s’il y en avait un qu’on ne s’attendait pas à voir, c'était bien lui

    df344dab183d2f5c6e1c347e8d28887b.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle. 

    Philippe Djian, Frictions : "Je dois dire que s’il y en avait un qu’on ne s’attendait pas à voir, c’était bien lui".
     
        Je dois dire que s’il y en avait un qu’on ne s’attendait pas à voir, c’était bien lui. La sonnerie avait retenti et Julie s’était précipitée pour ouvrir avec son entrain habituel. Ensuite elle s’était figée. Figée comme si elle avait vu un fantôme dans l’encadrement de la porte ou Dark Vador en short un sceau de plage à la main.
        Lui, droit comme un bâtonnet de glace, n’attendait qu’un mot pour faire un pas et rentrer dans cette demeure qu’il avait quitté, il y avait plus de quinze ans. Quinze sans nouvelles, sans une lettre, un mot, une explication. Quinze ans sans pouvoir lui faire un câlin, lui dire qu’on l’aime ou qu’il est le plus fabuleux des papas. Quinze ans qu’on avait tiré un trait sur son existence, comme on jette au panier de vieux bouquins qu’on avait espéré pendant longtemps relire un jour et le temps passant, on finit par se rendre compte que ces tas de feuilles poussiéreux encombrent la bibliothèque et qu’on ne les relira certainement jamais et qu’après tout, en les feuilletant rapidement, on réalise qu’ils n’en veulent pas la peine alors d’un geste résigné, un peu triste, on les met à la poubelle presque honteux de s’en être débarrassé. Et on les oublie…
        Il était là. Devant nous. Avec ces cheveux poivre et sel. Maman ne disait rien, elle le regardait. Sans animosité. Elle le regardait avec indifférence, comme si cet homme, le père de ses enfants, n’était plus qu’une molécule d’eau, banale, étrangère parmi les milliards de milliards de milliards d’autres dans l’océan tumultueux de sa nouvelle vie.
        Il fit un geste imperceptible, une grimace sur son visage de cire et notre mère compris qu’il ne fallait pas, qu’on lui devait ça. Même si c’était injuste, ou trop facile. Il fallait le laisser entrer, qu’il pose son cul sur le canapé, qu’il boive son verre de Martini blanc avec un glaçon, qu’il parle sans qu’on l’écoute trop ou sans qu’on veuille véritablement l’écouter et qu’il s’en aille comme il était arrivé. Dans l’indifférence. Bye Bye et à une prochaine dans dix ans, papa…
        Elle avait compris tout ça, maman. Cet homme lui avait fait tellement de mal, qu’elle s’était forgé une enveloppe, translucide, invisible au premier regard mais une enveloppe capable de protéger ses deux enfants contre tous les salopards qui pourraient de nouveau enquiquiner sa petite famille. Elle le laissa passer. Comme le matador esquive le taureau. Les pieds bien fichés dans le sol, sûre d’elle, le regard tourné sur l’adversaire, prêt à contre-attaquer.
        Ensuite il s’était affalé dans le canapé. Fidèle à lui-même. Un verre à la main, il reprenait des couleurs et de l’assurance à mesure que le liquide alcoolisé se répandait en lui imperceptiblement. A chaque gorgée, il semblait plus à l’aise et il nous débitait des banalités sur sa nouvelle vie, sa nouvelle demeure et sa nouvelle voiture sans laisser le temps à maman d’en placer une. Il s’écoutait parlé, croyant à ce qu’il disait ou feignant d’y croire. C’était pitoyable de voir comment il n’avait pas changé et finalement c’était mieux ainsi. Mieux pour maman qui devait se dire qu’elle n’avait rien à regretter d’un type pareil. Qu’elle avait passé quinze ans de sa vie à l’abri de son nombrilisme, de ses retards du jeudi soir, de ses slips sales sur le carrelage gris de la salle de bains, de ses revues de foot dans les WC, de son goût immodéré pour les croupes rivales, des oublis trop répétés de nos anniversaires, de son boulot de cadre aux horaires soi-disant élastiques, de sa morgue.
        Cet homme qui avait partagé le lit de maman n’avait plus rien à lui apporter. Au contraire, il lui avait pris déjà beaucoup de son énergie et de sa joie de vivre. Elle ne ressentait plus rien pour lui, pas même de l’empathie car elle connaissait trop l’homme qu’il était et la part de lui-même qui semblait n’avoir pas changé. Elle n’avait pas de rancœur. Elle avait cette tristesse qu’ont les femmes comme elle d’avoir rencontrer des hommes comme papa. Cette tristesse qu’elle avait enfuie au fond de son petit cœur, cette tristesse d’avoir eu la malchance d’avoir rencontré cet homme-là, un soir où grisée par l’alcool et la cigarette, elle avait croisé le chemin de cet ado aux cheveux longs et blonds, sûr de lui, conquérant.
        Et maintenant qu’il était à ses côtés, seul, dans son costume gris mal taillé, et qu’il parlait depuis bientôt une heure sans discontinuer, son assurance commençait à s’effriter, morceau par morceau, grain par grain ; le roc qu’il voulait nous faire croire qu’il était devenu, s’émiettait pour tomber en poussière sur le tapis du salon, pitoyablement. Il se liquéfiait devant maman, devenant un petit garçon bien docile qui se résignait devant ce bloc de glace impassible, devant cet iceberg inaccessible qui flottait à côté de lui.     Maman ne dit rien ou si peu. Elle n’avait pas besoin. Tout en elle était fermé à cet homme. Il finit par poser ce verre, qu’il avait vidé et tripoté nerveusement pendant tout cette rencontre improbable et se leva, seul. Maman restant assise. Il bredouilla même des excuses et quitta notre maison.
        Maman ne dit rien, ce soir-là, pas même les autres soirs. Cela n’était pas arrivé.
        Et c’était mieux ainsi. Mieux pour ma sœur, mieux pour moi.
        Et même mieux pour cet homme, que j’avais jadis appelé papa.

     

  • Un été autour du cou

    4293fbc043d9e6b02ba7f210f0d5df8d.jpgLes six premières phrases du roman de Guy Goffette : Un été autour du cou

    "1
    La Monette avait tout, savait tout; moi, rien. Elle m'a pris sous son aile, m'a roulé dans ses draps puis dans la farine. Puis foulé aux pieds, puis jeté dehors. J'avais douze ans à peine; elle, trente de plus.

    2
    Si seulement ç'avait été des bonbons roses ou verts ou bleus, n'importe, des bonbons acidulés qui fondent lentement sous la langue avec un goût de jardin sauvage, d'iode, de revenez-y; si seulement elle me les avait offerts, caramels, dragées, pralines, que sais-je, comme une grande sœur, une marraine de communion, en me regardant droit dans les yeux, rieuse, complice un peu, et pas la bouche gourmande, les lèvres entrouvertes, gonflées, humides, brillantes comme sur l'affiche du cinéma Lux qui me faisait m'attarder longuement au retour de l'école ; si elle m'avait enveloppé en douceur dans sa voix de renarde, traînante comme la steppe, le temps que s'arrondissent au fond de ma gorge l'accent et le souffle, jusqu'à ce qu'ils me deviennent naturels et familiers comme un galet longtemps poli par la mer, le même que celui que je serrais dans ma poche en la regardant, chaud et moite et presque fondant tout à coup, au lieu d'en remettre comme elle avait fait sur la langueur et le rauque d'une sirène de lupanar; si elle m'avait aimé avec sa voix seulement, du bout des lèvres, susurrante et mouillée, câline comme un creux d'herbes moussues, de quoi rêver à l'amour et m'ouvrir lentement au mystère de la femme, au lieu de me jeter sa chair nue à la figure et de m'obliger à y boire, la tête maintenue dans le feu du torrent, moi qui ne connaissais que l'eau du robinet, j'aurais pu continuer de grandir à mon rythme de petit campagnard rêveur et délicat, marcher en sifflotant dans la rue comme le gamin que j'étais encore, sans honte aucune de mes bras maigres et de mes culottes courtes; j'aurais pu continuer de dire papa à mon père, et maman, et bonjour madame sans rougir, et donner des ordres à mes soldats de plomb sans que ma voix se mette soudain à douter d'elle-même, à trembler; et parler encore chaque soir après l'école à mon lapin comme à un petit frère dodu, caressant, et le nourrir avec la carotte dérobée au potager voisin ou avec l'herbe folle des talus; j'aurais pu oublier de me laver les dents de temps à autre ou de changer de chemise, de chaussettes; et jouer encore à qui pissera le plus haut contre le mur de l'église, fumer derrière la haie avec le fils du médecin les cigarettes blondes qu'il barbotait à son père et qui nous faisaient déchirer le ciel en toussant comme des malades; ou, dans le hangar abandonné, derrière les barils vides qui empestaient l'essence et la benzine, toucher la fente lisse et légèrement rougie sur les bords de la petite Pauline, la fille du voisin, une grassouillette aux yeux de poisson, et consentir finalement à lui montrer comme promis mon machin à moi qu'elle aimait serrer dans sa main jusqu'à ce que la chaleur me monte au ventre et que ça durcisse; j'aurais pu manger encore avec les doigts, graisseux, ongles en deuil, et cracher par terre comme Julos le marin depuis qu'il était revenu de l'Arctique, sourd et manchot, et passait son temps à taper la carte et à raconter aux gosses attroupés ses combats solitaires avec des cachalots gigantesques qui le poursuivaient; j'aurais pu me curer le nez derrière Zig et Puce en attendant que mon père me propose le tisonnier, tellement plus commode et efficace, n'est-ce pas? et finir tout de même par m'essuyer les doigts au bord des nappes et sur le dessous des chaises; j'aurais pu supporter de dormir encore dans la sueur et la morve de mon frère cadet quand il y avait en bas une soirée avec cartes, tricots, liqueurs, alcools et cent histoires salées qui faisaient s'esclaffer les hommes; supporter d'être exclu de la société des grands, et ronger mon frein, allongé contre le petit renifleur endormi, de ne pas pouvoir rire avec eux, même sans rien comprendre, simplement rire, contagieusement rire, solidaire enfin et définitivement homme; j'aurais pu voir encore et encore la mer au fond du jardin et toute la nuit l'entendre rouler à grand fracas ses eaux consolatrices derrière la rangée de peupliers où le vent larguait toutes les voiles, et puis partir, partir enfin, partir déjà, embarquer
    avec Colomb, Vasco de Gama, le bras coupé de Julos, pour cette terre sans horizon où flottent les banquises et les bisons du Grand Manitou.
    J'aurais pu, surtout, le cœur léger, marcher longtemps, longtemps avec une rose à la main vers une jeune fille aux jambes nues, tout partager avec elle et n'avoir plus de secret. "

    Guy Goffette : Un été autour du cou




     

     

  • Belle métaphore

    medium_29_07_4_web.2.jpg"La 2 CV est une boîte cranienne de type primate : orifices oculaires du parebrise, nasal du radiateur, visière orbitaire des pare-solei, mâchoire prognathe du moteur, légère convexité pariétale du toit, rien n'y manque, pas même la protubérance cérébelleuse du coffre arrière."

    Jean Rouaud

  • J'avais fait remplir un flacon d'acide chlorhydrique...

    medium_141329H.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

    Jean-Philippe Toussaint, Faire l’amour : "J’avais fait remplir un flacon d’acide chlorhydrique, et je le gardais sur moi en permanence, avec l’idée de le jeter un jour à la gueule de quelqu’un."

        J’avais fait remplir un flacon d’acide chlorhydrique, et je le gardais sur moi en permanence, avec l’idée de le jeter un jour à la gueule de quelqu’un. Une idée comme ça qui m’était venue un soir de beuverie. Mais à force de trimballer la petite bouteille, j’avais fini par prendre goût à me balader avec cet accessoire. Ca me rendait guilleret de savoir qu’il était prêt de mon cœur, dans la poche de mon veston. Corrosif, brûlant comme la passion peut l’être.   

        Alors il était sur moi à tout moment et à tout moment, je pouvais pourrir la vie de quelqu’un, lui jeter le contenu de mon flacon dans la gueule. Comme ça, pour rien. Simplement parce j’en avais envie. Ou parce que sa gueule ne me revenait pas. Ou pour mille autres raisons toutes plus insignifiantes les unes que les autres.   

        Evidemment personne n’était au courant. Ce n’est pas le genre de chose qu’on avoue facilement. Etait-ce une perversion, un jeu malsain, une folie passagère ? Je ne le saurais jamais. Cela avait cessé comme cela avait commencé : brutalement.    

        A l’époque, je sortais avec une copine que j’avais rencontrée sur le campus scientifique de Lille 1 : Aude, une charmante fille, à vrai dire. Elle avait de longs cheveux blonds qui lui descendaient jusqu’aux creux des reins et de grands yeux bleus, plus clairs qu’un ciel d’azur. Une vraie beauté. Son seul défaut, c’était de se jeter dans tous les bras chaleureux qui croisaient son chemin. A la longue, ça m’avait lassé.    

        Un soir, Aude avait trouvé la fameuse bouteille : une bouteille de parfum dont j’avais remplacé le contenu. Intriguée, elle l’avait humé. Je n’avais pas eu le temps de l’en empêcher. Elle ne m’en avait même pas voulue, et ne m’avait posé aucune question. Elle s’était contentée de me regarder avec une petite moue interrogatrice à peine réprobatrice qui semblait vouloir dire : « Mais qu’est-ce qui te passes par la tête Marc… Je ne préfères pas savoir ».    

        Alors j’avais continué mes promenades avec la petite bouteille d’Armani. Elle et moi, nous nous rassurions. Un peu comme un vieux couple. Je ne sais pas s’il fallait y voir quelque chose de symbolique, quelque chose de psychanalytique mais la présence de ce liquide incolore et corrosif avait changé la perception que j’avais des gens que je croisais. Ce n’était plus une foule anonyme, sans visage, qui déambulait devant mes yeux, c’était des individualités qui frôlaient trop souvent, sans le savoir, le défigurement. Ils m’inspiraient de la pitié. Ou plutôt, une sorte d’empathie. J'aimais à penser qu’il y avait peut être dans cette foule qui descendait l’escalator du Furet Du Nord, une personne qui me ressemblait. Une personne qui transportait de l’acide chlorhydrique, de la soude caustique ou de l’ammoniac. Et qui aurait pu me lancer au visage ce liquide corrosif. Je pense même qu’au fond de moi, je l’espérais. Je ne voulais pas me l’avouer mais il y avait des signes qui ne trompaient pas.
        Tout ça était symbolique, celui que je cherchais désespéramment pour lui foutre à la gueule l’acide et que je ne trouvais pas, c’était moi. C’était pour moi cet acide. Il me le fallait en pleine face, car la fuite en avant ne me menait nulle part. C’était un élan vital. Désespéré. Un ultime essai.
        Tout ce qu’avait trouvé mon pauvre subconscient, c’était cette mascarade morbide, ce pauvre stratagème qui a finalement abouti mais pas comme je l’avais prévu. Comme quoi la vie emprunte souvent des détours pour parvenir à ce qu’elle veut.
        Un matin où je me rendais à la fac en métro, je fus effleuré par une automobile. Oh ! Rien de grave. Seulement, en chutant, la bouteille d’acide se brisa et le temps que je retrouve mes esprits, je fus brûlé au troisième degré et conduit aux urgences du CHU.
        Il y eut alors dans l’ordre : des bras au ciel. Une tentative personnelle et vaine d’explications. Des mines déconfites. L’incompréhension des parents et du milieu médical. Le temps des sermons. Le défilé des amis. Celui des grands-parents…
        De l’humiliation distillée au compte goutte. Un vrai plaisir. Ca me blinda pour un moment. Mais dans cette pièce de boulevard, il y eut sur la fin, une jeune femme. Une lumière dans cette angoissante et obscure vexation. C’était la fille de l’un des amis de travail de mon père : Clémentine. Petite et menue, elle avait de jolies tâches de rousseur qui semblaient s’être concertés pour lui embellir le teint et le visage de la plus belle des façons. Elle n’était pas extraordinairement belle, mais elle avait du charme et son sourire était craquant : je tombai fou amoureux d’elle en moins d’une semaine.
        Il y eut bien évidemment des stigmates mais je les oubliais vite car six mois plus tard, Clémentine me passait la bague au doigt. Cet acide, que j’avais voulu comme un fou lancé à la face d’un inconnu, avait finalement scellé notre union. Il avait été le catalyseur d’une rencontre improbable.

     

  • Il resta un long moment...

    medium_600-00172917.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

    Jean-Pierre Amette, la maîtresse de Brecht : "Il resta un long moment à regarder défiler les forêts et leurs rousseurs."

    Il resta un long moment à regarder défiler les forêts et leurs rousseurs. Puis il quitta sa banquette et se rendit aux toilettes. Maintenant il savait. Ou plutôt, il s’était enfin décidé. Décidé à tirer un trait sur beaucoup de choses qu’il ne supportait plus dans sa vie. Il avait fait ce voyage, si on peut dire, pour ça. C’était comme une délivrance, un poids en moins sur son ventre qui l’avait si souvent oppressé.

    Il sortit son agenda et jeta un rapide coup d’œil sur ses rendez-vous du lundi. Il avait fait cela comme un geste machinal mais pouvoir se ré-intéresser à son boulot était déjà un grand pas pour lui. Il se sentait mieux, c’était une évidence. Il en sourit puis se ravisa et pensa qu’après tout, c’était dimanche, et qu’il valait mieux profiter de cette belle journée plutôt que de se plonger dans le boulot.

    Il se leva, fit quelques pas. La voix de l’hôtesse annonçait en allemand l’arrivée prochaine en gare. Pourquoi pas, se dit-il.

    Il revint à son siège et rangea ses affaires. L’agenda dans sa serviette, son bloc de dessin, il est architecte, aussi. Il plaça son crayon à papier dans sa sacoche et attendit sagement, la sacoche sur ses genoux, l’arrivée prochaine en gare.

    Dehors l’air était un peu frais mais le soleil réussissait à darder ses rayons à travers une mince trouée de nuages blancs. Il se sentait bien ici. Sa femme n’avait jamais pu comprendre ça. C’était sa terre natale. Là où il avait grandit. Là où dormaient ses souvenirs d’enfance. Berlin.         Vers l’horizon, il y avait cette ville fantastique, trop longtemps coupée en deux. La ville de son enfance. Il pouvait presque étendre la main et la sentir vibrer.

    Il s’assit sur un banc. La gare était derrière lui, dans cette petite ville de province qu’il ne connaissait pas. Mais peu importe, il se sentait chez lui.

    Il repensa à ses voyages en bus, adolescent, quand il se rendait au centre ville pour acheter quelques livres. C’était un plaisir infini que sa mère lui offrait. C’était sa liberté. Sa bouffée d’air pur dans cette ville bunker.

    Il resta là, à regarder, simplement regarder, ce qu’il avait laissé dans son pays natal pour cette femme qui, un jour du mois de mai, lui avait tourné la tête. Il ne regrettait rien. Non, si c’était à refaire, il le referait. La vie est trop courte pour qu’on se retourne sur elle, trop courte pour lui accorder la faveur de regrets amers.

    Il mit dans sa poche suffisamment de souvenirs, lesta son cœur d’une provision suffisante de bonheur et s’arracha de ce banc sur lequel il venait de s’asseoir pas moins de trois heures. Il marcha vers la gare, pris un billet pour le retour, il était temps, songea-t-il et remonta dans le train. Destination la France.

    Avec le tacatac monotone, il réfléchit à ce qu’il allait lui dire. Quelques mots pour clarifier les choses. Il allait lui dire gentiment. Il ne voulait pas la blesser, pas lui faire du mal. Après tout, elle aurait pu être la mère de son enfant.

    Alors il chercha des mots clairs mais pas méchants. Pondéré, il voulait être pondéré. Pas méchant. Mais il fallait qu’elle comprenne car ils ne pouvaient plus rester ainsi.

    Il ne voulait pas lui dire qu’il ne l’aimait plus. Il ne voulait pas non plus lui dire qu’il ne supportait plus sa présence, même si c’était un peu vrai.

    Il réfléchit longtemps et lui vint à l’esprit : le matin quand tu te lèves, je ne te vois plus. Tu m’es transparente. Comme un voile fin qui se serait mis entre nous et qui nous aurait définitivement séparés. Claire, nous devrions nous quitter, ne crois-tu pas ?

    Voilà, il allait lui dire quelque chose comme ça. Elle comprendra. Il en était sûr.

    Dehors les grandes forêts allemandes étendaient leur manteau noir et une page se fermait irréparablement. Mais la vie, elle, continuait.

  • Fin de la nouvelle

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    Dondong, Antoine Volodine (Seuil) :
    "La boîte de conserve roulait sur le carrelage sale du couloir".
     
    Toujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

    La boîte de conserve roulait sur le carrelage sale du couloir. Et avec les joints, cela faisait penser à un train sur ses rails. Une espèce de bruit continu entrecoupé régulièrement. Elle continua docilement, prudemment, en hoquetant à chaque franchissement de ciment. Mais sa trajectoire, quoique rectiligne au départ ou plutôt quasi rectiligne, s’incurva très légèrement mais irrémédiablement vers le mur et vers ce qui se trouvait près du mur.
    De ma position, l’accident était inévitable. J’aurais pu courir, hurler ou trépigner ; rien n’y aurait changé. Alors je suis resté là, impassible, à le regarder, les yeux bas comme un enfant pris en faute, tressaillir sur ses petits pieds.
    Il a vibré ce foutu guéridon pareil à un bateau qu’on éventre : ça craque, ça se plaint, ça se débat mais au final, ça finit par plier, vaincu. Et ça m’a presque rendu nostalgique : j’ai pensé à tous ces trésors découverts par des archéologues. J’ai pensé aux chinoises et à leurs petits pieds martyrisés. A la dynastie Ming. A la fête des mères.
    J’ai pensé à une multitude de choses et tout ça se télescopait dans ma tête. Comme un puzzle qu’on aurait lancé par-dessus mon épaule et que j’aurais regardé impuissant s’étaler sur la moquette.
    Tous ces petits bouts de mon existence, ces miettes de peu, ces souvenirs lointains et morcelés, c’était ma vie en morceaux. Pareil à cette porcelaine qui était venue se frotter au carrelage sale du couloir.
    Maman m’en aurait voulue longtemps. Je la revois avec son vase de Chine, le tournant dans un sens puis dans l’autre pour trouver l’orientation judicieuse. Elle avait cette robe à fleurs, bleue, qui lui allait si bien. Ce devait être à la fête des mères. Enfin, je crois.
    Mais de toute manière, elle n’est plus là. Plus là, pour voir son vase pulvérisé, plus là pour poser son regard aimant et réprobateur à la fois sur moi, plus là pour ramasser les morceaux.
    Je crois bien qu’elle me manque.

     

  • Les âmes grises

    medium_05457441.jpg"Je ne sais pas trop par où commencer. C'est bien difficile. Il y a tout ce temps parti, que les mots ne reprendront jamais, et les visages aussi, les sourires, les plaies. Mais il faut tout de même que j'essaie de dire. De dire ce qui depuis vingt ans me travaille le coeur. Les remords et les grandes questions. Il faut que j'ouvre au couteau le mystère comme un ventre, et que j'y plonge à pleines mains, même si rien ne changera rien à rien.

    Si on me demandait par quel miracle je sais tous les faits que je vais raconter, je répondrais que je les sais, un point c'est tout. Je les sais parce qu'ils me sont familiers comme le soir qui tombe et le jour qui se lève. Parce que j'ai passé ma vie à vouloir les assembler et les recoudre, pour les faire parler, pour les entendre. C'était jadis un peu mon métier".  

    Philippe Claudel, les âmes grises 

     

  • Nouvelle en chantier

    Dondong, Antoine Volodine (Seuil) :

    "La boîte de conserve roulait sur le carrelage sale du couloir".

     

    Toujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.
     

     

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     La boîte de conserve roulait sur le carrelage sale du couloir. Et avec les joints, cela faisait penser à un train sur ses rails. Une espèce de bruit continu entrecoupé régulièrement. Elle continua docilement. Mais sa trajectoire quoique

  • De sang-froid

    "Le village de Holcomb est situé sur les hautes plaines à blé de l'ouest du Kansas, une région solitaire que les autres habitants du Kansas appellent "là-bas". A quelque soixante-dix miles à l'est de la frontière du Colorado, la région a une atmosphère qui est plutôt Far West que Middle West avec son dur ciel bleu et son air d'une  pureté de désert. Le parler local est hérissé d'un accent de la plaine, un nasillement de cowboy, et nombruex sont les hommes qui portent d'étroits pantalons de pionniers, de grands chapeaux de feutre et des bottes à bouts pointus et à talons hauts. Le pays est plat et la vue étonnamment vaste; des chevaux, des troupeaux de bétail, une masse blanche d'élévateurs à grain, qui se dressent aussi gracieusement que des temples grecs, sont visibles bien avant que le voyageur ne les atteigne".

    Truman Capote, De sang-froid. 

     

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