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Nouvelles et textes brefs

  • Le Grand Robert ****

    Beaucoup mieux que le Petit Robert voici le Grand Robert !

    Ne chercher pas à l'acheter en version papier, il ne sera jamais plus réédité...

    dictionnaire, Robert

     

    Comme feu le fameux Quid ou l' Encyclopædia Universalis en vingt volumes... il faut désormais se tourner vers les versions numériques.

    Alors le Grand Robert, c'est le dictionnaire le plus riche et le plus complet de la langue française :
    - 100 000 mots, 350 000 sens, toutes les orthographes, étymologies et nuances d'emploi.
    - Une extraordinaire anthologie de citations littéraires : 325 000 citations et 2 000 notices biographiques d'auteurs.
    - 25 000 expressions, locutions et proverbes.
    - Un réseau d'un million de liens hypertextes, sur les synonymes, analogies, contraires, dérivés et composés...

    dictionnaire, Robert

     J'avoue, j'adore le papier et les livres mais je me sers de moins en moins des dictionnaires papier...

    Il est tellement plus facile et rapide de faire une recherche sur le Grand Robert version numérique notamment pour les recherches de citations d'après un ou deux mots, au-delà le Grand Robert n'est pas très efficace.

    Vous avez la possibilité de prendre un abonnement ou d'acheter le version numérique à télécharger et à installer sur votre PC ou MAC : seul bémol, vous n'avez que 3 installations possibles... Alors à 149€, réfléchissez-bien où installer le logiciel !

    Pour plus d'informations, le site de l'éditeur Robert : http://www.lerobert.com/le-grand-robert/#coffret

     

    Avec en prime, la petite présentation d'Alain Rey, linguiste et lexicographe, qu'on ne présente plus, toujours aussi passionné et passionnant, qui est un peu le "PAPA" du Petit et du Grand Robert !

     

    dictionnaire,Robert

  • Ecriture

    Je crois qu'on écrit pour créer un monde dans lequel on puisse vivre.

     Anaïs Nin

     

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  • Aux fruits de la passion

    "On devrait vivre a posteriori. On décide tout trop tôt".

    1192568921.jpgAu fruits de la passion, Daniel Pennac

  • Longtemps, je me suis couché de bonne heure

    78473648.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

    Marcel Proust, A la recherche du temps perdu : "Longtemps, je me suis couché de bonne heure".

     

    Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Ce n’était pas par nécessité. Non plus par hygiène de vie ou pour une quelconque mais sérieuse raison. Tous les soirs, vers les vingt heures, mon corps prenait congé et préférait se plonger dans les délices ouatés de Morphée. C’était plus un abandon, une désertion, qu’une réelle volonté de ma part d’aller me coucher.

    A vrai dire, c’était peut être bien une habitude, vestige de mon enfance que les parents imposent à leur progéniture et qui se perpétue si rien n’y fait obstacle, comme ce dû être le cas pour moi, jusqu’à un âge avancé.

     

    J’étais dans ma vingt-cinquième année et je me couchais toujours de bonne heure. Certains auraient pu en sourire, d’autres en être étonné mais pour ma part, je n’y voyais aucune espèce d’étrangeté.

    Et ce fut plus tard, à l’occasion d’un anniversaire d’un ami, ou plutôt au cours de la soirée, après les festivités, que je pris conscience en prenant pour la première fois la plume que je pouvais occuper une partie de la soirée à un travail plus intéressant et passionnant que celui d’écraser avec ma lourde tête l’oreiller en plume d’oie : ma vocation était née.

    Ce soir-là, j'avais joué avec les rimes et m'étais essayé à la contine. J’avais noirci une pauvre page en deux heures mais ma joie d’avoir pour la première fois créé quelque chose était inénarrable. J’écrivais et d’un coup, j’existais. Comme si mon stylo devenait un prolongement vital. Comment d’ailleurs avais-je pu me passer de ce qui allait devenir une drogue, pendant toutes ces années ?

    Très vite, je bifurquais vers la nouvelle et bien plus tard, elle finit par me lasser : c’était inévitable. Il me fallait plus d’espace pour que sortent les personnages qui frappaient à la porte de mon imagination. Le roman devenait une évidence, une nécessité.

    Je ne me couche plus de bonne heure. J’ai troqué mon stylo pour l’azerty d’un PC ultraportable et je ne compte plus les pages qui sont sorties de mon imprimante.

    J’écris et cela me suffit.

     

     

     

     

     

     

  • Les Us et les Ume

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        Un jour, au pays des Us, un grand chambardement se produisit. Jusqu’alors tout allait pour le mieux dans ce pays. Les Germanicus et les Helvétius cohabitaient sans souci, le Soleil se levait à l’heure ou presque, le vent agitait les branches des arbres, la pluie tombait des nuages, les prospectus des magasins jetés à la poubelle explosaient comme des pétards et les omnibus arrivaient toujours à destination avant d’être parti. Rien de bien extraordinaire.
        Mais un matin, un jour sans Lune, une jeune fille, prénommée Enclume, timide comme une fraise des bois, au cœur dur et à la poigne de fer, s’aventura là où elle n’aurait pas du. Elle venait du pays des Ume où les Désaccoutume et les Porte-plume cohabitaient sans souci. Elle avait franchi la ligne imaginaire séparant les deux mondes, une espèce de frontière virtuelle vaporeuse et fantasmagorique, faite des songes et des rêves des enfants.
        D’habitude le Grume et le Choléra-morbus arrêtaient les enfants trop curieux mais là, ils étaient en grève car ils en avaient assez de porter des seaux trop lourds remplis des plaintes des grincheux, des pleurs des manipulateurs, des pensées noires des boudoirs et des noirceurs des voleurs. Ils en avaient plein leur sceau et tout ça débordait, aspergeait, mouillait tant leurs pieds qu’ils devaient changer de chaussettes toutes les trente-deux secondes, montre en main. Un vrai calvaire et les chaussettes mouillées s’accumulaient, à tel point que leur fil d’étendage s’était rempli le long de toute la frontière.
        Les Us avaient accusaient les Ume et les Ume avaient accusé les Us d’avoir manigancé cette provocation. On tournait en rond, rien n’avançait et même les chaussettes mouillées ne s’avaient plus où mettre leurs pieds.
        Enclume, elle, eut une idée : après avoir pénétrée dans les pays des Us, elle pensa qu’elle pouvait bien semer la zizanie : elle essaya, au hasard, la cacophonie, la symphonie, la pyrotechnie, la tyrannie et l’insomnie. Mais au bout de trois jours, avec ce régime forcé, elle tomba de fatigue.
        Un gars du pays des Us, un peu benêt, dénommé Terminus, était arrivé au bout de son chemin. Il était grand, au nez camus, et trop souvent confus, s’excusant pour un rien.
        Il aimait regarder les nuages, les arbres et les tranches de jambon.
        Il raffolait des spaghettis, du cassoulet et des dynamos de bicyclette.
        Il collectionnait les timbres, les soldats de plomb et les crottes de sanglier.
        Quand il vit la demoiselle, il tomba par terre, amoureux, et d’accord, pour une fois, de ne plus s’excuser de tout et de rien. Comme si une pierre lui était tombée sur le caillou, chamboulant toutes les petites pièces de sa tête pour les remettre à l’endroit.
    Pour commencer, il réveilla Enclume en posant ses lèvres sur son front.
        Il lui parla ensuite pendant cent huit heures, lui racontant des contes, des poèmes et des histoires à dormir assis.
        Il lui montra des nuages, des arbres et des abreuvoirs pour cochons.
        Il lui dessina des moutons, des chevaux et des pelles à tarte.
        Il lui parla de sa maison en brique, de son potager et de ses duvets en plume d’oie.
        Et quand il l’embrassa, un éclair bleu zébra le ciel, traversant la frontière, éclairant d’une lumière azurée les chaussettes de Grume et de Choléra-morbus qui chauffées séchèrent à la vitesse de la lumière. Un brouillard s’éleva, nimbant d’une étrange lumière bleue les pays des Us et des Ume. Les deux contrées furent plongées dans un silence étrange où le temps sembla figer tout : pour la première fois, et nullement la dernière, un gars des Us avait embrassé une fille des Ume.
        Longtemps les Us et les Ume se souvinrent de ce jour où un Us, Terminus, embrassa une Ume.
        Enclume, devenue légère comme une plume, rejoignit le pays de Terminus et s’installa dans sa maison, une petite habitation en brique flanquée d’un appentis où s’amoncelaient de vieilles bûches et où les carottes, les choux et les antennes de télévision poussaient dans le potager.


  • Exercices de style

    b579392226271dbf86472ece6983d8bd.jpgQuatrième de couverture, Folio poche, Exercices de style, Raymond Queneau :
    « Le narrateur rencontre, dans un autobus, un jeune homme au long cou, coiffé d’un chapeau orné d’une tresse au lieu de ruban. Le jeune homme échange quelques mots assez vifs avec un autre voyageur, puis va s’asseoir à une place devenue libre. Un peu plus tard, le narrateur rencontre le même jeune homme en grande conversation avec un ami qui lui conseille de faire remonter le bouton supérieur de son pardessus.
    Cette brève histoire est racontée quatre-vingt-dix-neuf fois, de quatre-vingt-dix-neuf manières différentes. Mise en images, portée sur la scène des cabarets, elle a connu une fortune extraordinaire. Exercices de style est un des livres les plus populaires de Queneau ».


    Voici, en quelque sorte, une centième version :  

    Physico-chimique

        Un vingt et un juin, à midi dix sept minutes UTC, dans l’hémisphère Nord, je montai dans un solide S parallélépipédique se déplaçant initialement d’un mouvement de translation quasi rectiligne, en première approximation uniformément accéléré. La chaleur des occupants du solide S, rempli d’une mélange gazeux enrichi en dioxyde de carbone et à une température de 303 K, apportait une quantité de chaleur Q positive et conséquente à mon corps qui venait s’ajouter à celle reçue auparavant sous forme de rayonnement infrarouge, provenant du Soleil.
        Au bout d’une trentaine de secondes, le mouvement du solide S fut uniforme : il était maintenant assimilable à un référentiel galiléen et si j’avais voulu décrire la trajectoire du centre d’inertie G du chapeau, orné d’une tresse et vissé sur le crâne d’un jeune homme au cou vertical et trop long, en chute libre dans le référentiel terrestre supposé galiléen, les équations horaires du mouvement auraient été dans leur forme générale : z = 1/2gt2+V0z+z0
        Le jeune homme, vulgaire assemblage d’atomes de carbone, d’hydrogène, d’oxygène et d’azote pour l’essentiel, fit ensuite vibrer ses cordes vocales intensément, donnant naissance à une onde longitudinale de compression-dilatation qui se propagea dans toutes les directions du mélange gazeux contenu dans le solide S : cet individu se plaignait que son voisin lui imposait un champ gravitationnel trop intense du fait de sa position trop proche de sa personne. Le jeune homme se mit ensuite en mouvement et abaissa son centre de gravité en s’asseyant.
        A des coordonnées différentes d’espace-temps, je rencontrai à nouveau le jeune homme avec un camarade qui lui expliquait qu’il devrait ajouter un bouton à son pardessus pour augmenter l’interaction électromagnétique entre les deux parties de son manteau.

  • Zébulon

     

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    Chez mon papy, il y a un chien tout rond
    qui s’appelle Zébulon.
    Je lui tire la queue
    il me fait des bleus
    Je lui mords la patte
    il a des stigmates.
    Je lui donne de l’eau
    Il me prend de haut.
    Et quand Zébulon
    blanc comme un flocon
    se rue dans ma chambre
    une nuit de décembre
    et qu’il me renverse
    comme une controverse
    ça me fait bien mal
    tel un maréchal
    Je vois des étoiles,
    comme un os à moelle
    Et ça tourbillonne
    tel un hexagone
    Y a des choses bizarres
    comme un gros lézard
    qui se carapate
    telle une grande frégate
    sur le papier peint.
    Je n’suis pas à plaindre
    et mon gros toutou
    comme un beau filou
    me fait des câlins
    en un tournemain.



     

  • Boisson et création

    "Si les artistes boivent, c'est qu'ils ont besoin de calmer la sensibilité qui les dévore". Truman Capote 5deec623dfb5a22cc7d69aca5d8f6acb.jpg

  • C’est un vieil homme debout à l’arrière du bateau

    Toujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

    Philippe Claudel, la petite fille de M. Linh : "C’est un vieil homme debout à l’arrière du bateau"e7f7bdbb66027349493efb77ff7ce3e6.jpg.

    C’est un vieil homme debout à l’arrière du bateau. Ce n’est pas un long paquebot, haut comme plusieurs étages, trapu et briqué comme un soulier neuf, où il pourrait s’accrocher au bastingage. C’est une toute petite embarcation. Sommaire même. Dangereuse assurément. Il serre sur lui un vieux sac en cuir, usé aux coutures et passé à cause du soleil de son pays. C’est son trésor, à lui. Ce qu’il lui reste de là-bas, là où son regard se perd dans l’immensité bleue des flots. Là où il est né. C’était il y a bien longtemps. Du temps où on allait au marché avec un vieil âne. Maintenant, c’est bien différent. Il y a les automobiles et la parabole. Cette maudite télévision qui a fait croire à ses enfants que de l’autre côté de la mer, c’est bien mieux. Et il les a vus, un par un, ses cinq garçons, s’enfuir comme des mal propres pour franchir la méditerranée. Il a pleuré, en secret mais il n’a pu les retenir.
    Les années ont passé et les grands parents se sont allés, fatigués du soleil et de l’impatience des jeunes peut-être. Sa femme est morte aussi, le cœur lourd gorgé de tristesse comme une éponge d’eau alors il lui semble qu’elle cherchait un prétexte et elle est morte en couche. Personne n’a rien pu faire. L’hôpital, à la ville, était bien trop loin.
    Il sent le vent sur sa joue fatiguée et déjà, il le sent plus frais. Ce n’est plus le vent de son pays. C’est le vent marin, salé, bien différent de celui qui a soufflé le chaud sur les plaines qu’il a tant arpenté : un vent à l’odeur aride, sec comme un caillou. Il se tourne et il les observe. Ils sont jeunes et forts. Plein d’espoir et de courage devant ce qui les attend. Il les envie, un peu. Lui n’a plus rien, pas même d’espoir. S’il a tout vendu pour être sur cette coquille de noix, ballotée par la houle, ce n’est certainement pas qu’il espère quelque chose de la vie qui l’attend là-bas, dans le nouveau pays de ses enfants. Non, c’est plutôt qu’il n’y a plus rien qui le rattache à sa terre natale.
    Alors il a tout vendu et un matin quand le soleil venait de franchir l’horizon et que déjà l’air dansait au loin sous la chaleur de l’astre, il est parti avec son vieux sac en cuir à moitié vide. Il avait pris une toile qu’il avait choisi bien résistante, avait mis ce qu’il convenait d’y mettre, l’avait noué et avait déposé le tout dans son sac précautionneusement. Et il avait pensé qu’il était grand temps de partir, son cœur avait trop séché à force de se parler à lui-même et il ne voulait pas qu’il ressemble à une vieille pierre bien dure.
    Maintenant il est plus serein. Il va mourir près de ses enfants, si dieu le veut bien. Ou en mer, si le destin en décide autrement. Mais il n’a pas de regrets.
    Il y a l’eau, écumeuse qui vient taper sur le bateau balancé par la houle, toute cette immensité d’eau qu’il lui rappelle presque avec ironie que la terre qu’il a tant travaillé avec ses mains devenues calleuses était si sèche, et c’est avec le vent qui se lève, avec de gros nuages gris qui se pressent à l’horizon, qu’il sait que son voyage va se terminer là, maintenant, au milieu de l’océan avec son sac en cuir rempli d’un peu de terre de son pays. Mais il n’a pas peur, il serre son sac près de son cœur.

     

  • L’autocar a tourné trois fois sur l’esplanade qui borde le port du canal

    ecd4e959d41537cc7195de0eb39d98b8.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.
     
    Philippe Claudel, Quelques-uns des cent regrets : "L’autocar a tourné trois fois sur l’esplanade qui borde le port du canal, sans raison apparente, comme si le chauffeur voulait faire sentir aux rares occupants l’âpreté des ornières et le défaut des amortisseurs".


    L’autocar a tourné trois fois sur l’esplanade qui borde le port du canal, sans raison apparente, comme si le chauffeur voulait faire sentir aux rares occupants l’âpreté des ornières et le défaut des amortisseurs. Le ciel était bas, pareil à une enclume floconneuse flottant sur l’eau. Mon voisin se leva mais je ne lui emboitai pas le pas. J’étais las et faire un geste me coûtait. Il y avait tous ces gens qui s’étaient levés d’un bond et qui me semblaient si lointains. Je n’arrivais pas à m’imaginer qu’ils pouvaient m’être semblables. J’esquissai un geste mais mes mains retombèrent. Je fis traîner mes yeux dehors où la brume avait nimbée la petite troupe qui s’était massée près de l’autocar d’une lueur nébuleuse, étrange, ineffable.
    Ils parlaient entre eux et moi, j’étais là, sur mon siège, à me dire que j’aurais pu très bien me lever comme eux, dès l’arrêt du car mais mes muscles s’y étaient refusés comme si chaque nouveau geste, chaque initiative — si le fait de se lever comme tout le monde peut être appelé ainsi — me coûtait un effort surhumain, au-delà de mes capacités du moment. Finalement après réflexion, ce n’était peut être pas le geste en lui-même qui me pesait le plus mais la décision que je ne me résolvais pas à prendre.
    Aucune volonté, voilà ce qui me caractérisait. Je n’avais plus aucune volonté. Il m’aurait fallu un poisson pilote pour me charrier jusqu’à la sortie de l’autocar.
    Enfin le ridicule fut plus fort et rester seul, comme un idiot sur mon siège pour je ne sais quelle raison, m’obligea à me lever et à m’entraîner en dehors de ce fichu car.
    J’étais sauvé mais pas pour longtemps car à chaque résolution le même manège inquiétant, ripoliné de tous mes échecs, estampillé de mes rêves brisés, enténébré par ma seule lâcheté et ma paresse, se mettrait en branle.
    J’étais comme seul au monde. Et les gens qui me dévisageaient, étaient aussi ceux qui ne semblaient pas vouloir me laisser s’approcher d’eux. Mes gestes gauches sans doute, mon abattement, que je trainais comme un fardeau aussi lourd qu’une berline gavée de houille, étaient sans doute des obstacles à ma bonne intégration au groupe.
    Nous marchâmes un peu, le guide devant qu’on avait peine à entendre derrière, là où je me trouvais. Après un chemin caillouteux et miné de mauvaises herbes, nous parvînmes à une place oblongue où semble-t-il une halte s’imposait. J’embrassais du regard l’ensemble des lieux et ne remarqua rien d’extraordinaire hormis quelques pierres usées et moussues qui avaient été disposées là, sans doute, à l’aide d’un ventilateur géant ou du moins ce monceau ne me frappa pas par son organisation méthodique. Mais le guide, à ma grande surprise, nous appris que tout ça avait était une église romane.
    Ces pierres dataient du IVème siècle avant J.C. Elles avaient traversées tous ces siècles à la manière de petits bateaux en papier ballotés sur le flot tumultueux du temps qui passe. Et dame nature avait posé son bienveillant manteau sur cet édifice, lui apportant pluie et neige, chaud et froid, bise et tempête, l’usant insensiblement avec une douceur presque maternelle. L’Homme, quant à lui, n’avait pas ces scrupules qu’ont les faibles et les sensibles, il l’avait profané, au rythme de ses guerres, de ses conquêtes, lui envoyant ses boulets, son feu ravageur, ses pillages et ses saccages. Et le résultat après deux millénaires de vicissitudes était ce tas informe que des touristes aigris, bronzés, en chaussure de marche, le numérique autour du cou ou dans la main comme un troisième œil scrutateur qui remplace les deux autres et qui enregistre en rafale des tas d’images qu’on ne regardera probablement pas.
    Je m’assis. Ils mitraillaient mais ils ne regardaient pas. Ils se cachaient derrière le petit écran de leur appareil photo où le monde leur apparaissait surement plus propre et plus ordonné à travers tous ces fichiers jpeg qui défilaient avec leur petit numéro dans la mémoire de la carte flash.
    Il me semblait que tout était là. Les rêves brisés d’une humanité désenchantée, la barbarie de l’Homme qui n’a pas faiblie depuis la nuit du temps. Plus je regardais cet amoncellement de pierres et plus je me disais que nous sommes bien fragiles. On se donne tous des airs de supériorité mais on est bien peu de chose. Le sens de la vie que nous cherchons tous, la mort, voilà des choses qui nous réunissent.
    Je remontai dans le bus et m’assis à côté d’une jeune femme. Ces pierres m’avaient fait du bien. Je regardais à travers la vitre et vit un reflet de mèches blondes qui me fit sourire. J’en fus presque surpris.
     
     

  • C'était l'hiver et il faisait nuit

    6e76ab70a5cb47eb5fbd92ec8f990305.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.
     
    Jean-Patrick Manchette, La position du tireur couché : "C’était l'hiver et il faisait nuit".
     
     
    C’était l’hiver et il faisait nuit. Une nuit sale, moche et grise. Une nuit où j’aurais préféré rester dans mon lit, la tête à peine surnageant des couvertures en laine, pelotonné sous les draps, au chaud, tranquille, loin des autres. Comme dans un cocon où plus rien ne pourrait m’atteindre, où plus personne ne pourrait me faire du mal.
    Je l’entendais, tandis qu’elle montait les marches, les faisant craquer toutes, sous son poids de baleine. Parfois quand j’étais seul dans ma chambre, il me plaisait à penser qu’elle ne devait jamais se peser car dans le cas contraire, elle aurait explosé la balance et je voyais dans ma rêverie les divers morceaux et mécanismes lui arriver en pleine face et s’écraser après une trajectoire parabolique sur divers bibelots qu’elle affectionnait particulièrement. Tout cela resta à l’état de songe et je ne sus jamais si le gros tas de graisse que mes parents nommaient « ta sœur » avait un jour mis son gros pied adipeux aux doigts boudinés sur un instrument de mesure de la masse humaine et j’avais peine à croire en voyant cette boule de graisse oblongue, saucissonnée dans un demi-bas, appelée pied que les lipides claquemurés sous sa peau ne se fassent pas la malle à travers les pores et je n’aurais pas été étonné de voir un jour s’écouler un liquide jaune semblable à de l’huile jaillir de ses extrémités.
    Tout en elle me donnait la nausée et me révulsait. Il y avait d’abord son corps, gras comme du cochon. Sa démarche ensuite, une démarche hommasse, avec ses épaules de déménageur. Et enfin sa voix grasseyante et de stentor, à croire que sa graisse s’était infiltrée jusqu’à ses cordes vocales.
    Je l’entendais brailler comme si elle eut été sur le marché en train de vendre du poisson pas frais. Plus la marchandise est dégueulasse, plus il faut gueuler pour vendre toute cette merde. La demi-tonne, comme j’aimais l’appeler en secret, arriva sur le palier qui trembla.
    —    Tu vas descendre ton cul ou faut-il que je vienne te chercher ? beugla-t-elle.
    —    J’arrive, répondis-je.
    —    J’arrive… j’arrive… Ça fait une heure que je t’appelle… Tiens prends ça.
        Un peu sonné mais finalement habitué à ce trop plein d’amour fraternel, je consentis à suivre demi-tonne. Nous descendîmes donc les marches moi devant, ma sœur derrière, me surveillant du coin de l’œil. L’escalier en chêne lança de nouveau sa plainte mais cela ne parvint pas à réveiller nos parents qui ronflaient au rez-de-chaussée.
    Dehors la nuit nous cueillit. Dans ses bras frais et ténébreux, elle nous entraîna en silence vers la destination. Les branches craquaient sous nos pas et il me semblait que tout autour de nous la forêt bruissait en un léger froissement, sans que nous puissions discerner d’où cela provenait. La lune pleine et laiteuse nous offrait assez de clarté pour que nous puissions progresser sans lampe. Et à mesure que nous nous rapprochions de l’endroit, à mesure que mes sens se remémoraient tout ce que j’allais subir, mon cœur s’emballait, tapait comme un sourd sous mes côtes comme celui d’un petit animal blessé dans les griffes d’un prédateur.
    La ville réapparut derrière les arbres et avec elle, se dressèrent les ombres longues et menaçantes de tours fantomatiques. Le quartier était là, la gueule ouverte, prêt à me happer et à m’entraîner dans ses catacombes. Nous marchâmes encore un peu puis nous nous enfonçâmes sous terre. Il y eut une volée de marches humides et glissantes, un mur aux tags moches et dégueulasses puis nous redescendîmes, nous engouffrons toujours plus loin dans le monstre urbain obscur, aux couloirs sombres, crasseux, humides, interminables et pisseux, aux portes métalliques rouillées et taguées. Il y avait ces personnes qui à mesure que nous approchions semblaient s’amasser sur notre passage comme des cafards, des coprophages de la misère humaine, à tel point que nous progressions de plus en plus difficilement. Je sentais l’haleine tiède de ma sœur sur ma nuque et j’étais poussé de tous côtés par la foule grouillante vers la lumière où crépitaient de vieux néons, vers cette salle qui m’apparaissait à chaque fois que j’y pénétrais comme oppressante, caverneuse, sans issue. S’il y avait un enfer sur terre, c’était bien ici.
    Les paris furent lancés, l’argent circulant de main en main ; ma sœur aux pommettes devenues rosées jubilait, ses pognes plein de billets.
    Comme à l’accoutumée, des bandages furent enroulés autour de mes mains, les mains du champion comme ils disaient, il fallait les préserver, c’était leur magot, leur assurance de pouvoir continuer leurs paris de merde alors que ma gueule, amochée ou pas, ça n’avait pas d’importance.
    Devant moi, un jeune enfant chétif, pâle comme un moribond, dégoulinant de sueur, tremblait. Je voulais hâter le combat pour qu’il ne souffre trop et je lui décochais un crochet du droit. J’espérais le sonner le plus vite possible.
    Mais je savais qu’après lui, il y en aurait un autre, et un autre et encore un autre… jusqu’à ce que ma gueule vienne se frotter au béton de la cave et là, ils seront satisfais, la bave leur coulant aux commissures des lèvres, trépignant, hurlant, gueulant leur rage et leur joie, leur haine et leur espoir, il n’y aura plus que leurs baskets hideuses, toutes les mêmes, la chaleur, la sueur et le sang. Comme s’ils devaient laver leur désillusion avec le sang des autres.

  • C'était un plaisir tout particulier de voir les choses rongées par les flammes, de les voir se calciner et changer.

    7cd517419d069cedd6ed3c73276a5177.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

     
    Ray Bradbury, Fahrenheit 451 : "C’était un plaisir tout particulier de voir les choses rongées par les flammes, de les voir se calciner et changer".

    C’était un plaisir tout particulier de voir les choses rongées par les flammes, de les voir se calciner et changer. Ce sentiment, je ne m’aurais pas cru capable de le faire mien. Tout cela m’appartenait et voir disparaitre mon refuge comme je l’appelais, happé par les flammes orange tortueuses et dansantes, me laissait indifférent.
    Un peu de papier journal avait suffi. Et la cabane s’était embrasée. Il n’y avait pas eu de fulmination mais plutôt une espèce de bruit ridicule, atténué, flemmard quand les flammes qui léchaient la toiture en rondins avait brutalement, avec l’appel d’air, avalé telle une bouche géante la cabane.
    J’étais sceptique au départ sur la réussite de mon projet, ne disposant de pas grand-chose mais mettre le feu est véritablement un jeu d’enfant. Ce doit être pour cette raison que tant de pyromanes pullulent entre les lignes des faits divers des journaux.
    Je me suis reculé, la chaleur au début agréable presque maternelle devenait insupportable. Ce n’était plus qu’une torche oblongue de laquelle décampaient d’âcres fumées noires, des volutes cendrées qui se tortillaient dans le ciel azuré et plein de promesses. Il était maintenant difficile d’imaginer ma cabane derrière ce mur de feu où le bois igné crépitant, craquant de tout part, menaçait de s’écouler à chaque instant. Le spectacle dura longtemps et je finis par m’asseoir dans l’herbe, ne pouvant plus détacher mon regard de mon chez-moi qui partait en fumée, calciné de mes propres mains.
    Quand tout fut fuligineux, quand le bois noir qui crépitait à peine et timidement ne laissa même plus entrevoir quelques braises, quand les fumées se dissipèrent comme une volée de corbeaux derrière une colline, je pris mon sac de toile et partis sans me retourner. C’en était fini. Fini de cette vie de reclus où chacun de mes gestes pouvait me faire arrêter. Fini de me cacher. Fini de trembler à chaque fois qu’une voiture de police ou de gendarmerie croisait ma route.
    J’avais tout brûlé. Mon livret de famille, ma carte d’identité, mon passeport, les photos, mes souvenirs personnels. J’avais rasé ma barbe et coupé court mes cheveux que j’avais ensuite décoloré à l’eau oxygénée vingt volumes.
    J’étais un autre homme. Enfin je voulais l’être et espérais l’être.
    C’était une nouvelle vie qui s’annonçait au bout du sentier, et je l’espérais meilleure que la précédente.
     

  • Le verbe lire ne supporte pas l'impératif

    6532aeff1ec97b90c38062c25f13cbea.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.
     
    Daniel pennac, Comme un roman : "Le verbe lire ne supporte pas l'impératif".
     
    Le verbe lire ne supporte pas l’impératif. Elle avait beau nous le répéter « Lisez !», « Mais lisez donc ! Que diable !». Son martèlement pédagogique, ses intimidations d’un autre âge n’y faisaient rien. Les trente têtes de la 3ème1 ployaient un peu dans la petite salle de classe du préfabriqué mais elle pouvait toujours causer, notre prof de français, 380 grammes de Stendhal, La Chartreuse de Parme, Folio, 700 pages, écrit en petit caractère ne pesait pas bien lourd face au vélo, roller, sarbacane et console Atari.
    Rien qu’à le prendre entre les pognes, on en avait le vertige : comment un gars, de son vrai nom Henri Beyle, pouvait avoir écrit un pavé pareil ? C’était incompréhensible pour notre pauvre cervelle d’ado. Et le plus extraordinaire est que des gens avaient non seulement lu tout le bouquin mais en plus, l’avaient apprécié ! Là, ça nous en bouchait un coin. De l’admiration pour cette Béatrice Didier ! Elle avait même écrit dans cette Postface qu’elle avait eu une « joie inaltérable ». Et sur la quatrième de couverture, on pouvait lire de Balzac : « M.Beyle a fait un livre où le sublime éclate de chapitre en chapitre ». Pourtant c’est peu dire si on avait essayé moi et Pascal, y avait rien à faire, c’était indigeste, comme de la choucroute froide.
    Le début par exemple : « Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur ». Le début d’un roman ne devrait pas être écrit pour allécher le lecteur ? Nous étions sceptiques.
    Evidemment nous avions un plan de lecture : pour ingurgiter les 554 pages du roman, il fallait qu’on nous découpe l’effort, qu’on le tronçonne à la manière d’un rosbif bien saignant, le débitant en minces tranches plus facilement digestes. J’avais donc suivi ce régime forcé mais en l’adaptant quelque peu.
    J’avais lu l’essentiel, la préface, l’avertissement, la postface, le dossier : la vie de Stendhal, les sources, l’article de Balzac et les passages recomposés par Stendhal et enfin les notes. Pour ce qui est du roman lui-même, le découpage professoral avait été un peu malmené. J’avais bien tenté de me laisser emporter par la vague Stendhalienne mais ces soirs-là, blotti dans mon lit rustique, la tête calée par un gros oreiller mou, à la lumière pâle de la lampe, la déferlante s’était transformée en vaguelette me laissant penaud sur la grève, les paupières lourdes, happées par la gravité, avides de se fermer pour de bon, comme l’épais folio gisant sur le matelas. Les lignes dansaient devant mes yeux, un épais brouillard et je lisais mécaniquement, sans plaisir, les mots succédant aux mots, pour finir en bas de la page à me rendre compte que j’avais perdu le fil de l’histoire. Alors je recommençai, revenant en arrière et il y avait ce bruit angoissant de la pendule posée sur la table de nuit égrenant les secondes ; je n’avançai guère. Un fiasco. Il me restait tant à lire et il fallait bien dormir alors j’élaguais, je tronçonnais des paragraphes puis des pages entières et pour finir, honteux, je sautais des chapitres dans leur intégralité.
    En classe, le résultat ne se fit pas attendre. Première interrogation, un désastre…
    Alors il y eut une bouée de sauvetage : lecture en diagonale comme pour mieux se prouver à soi même qu’on est quand même capable de lire, en partie, ce foutu bouquin avec un renfort mince et rouge mais de taille : le Profil. Le fameux Profil. Rassurant avec son résumé qui nous fait croire que sa possession nous dispense de lire ce fichu bouquin.
    Avec ce livre svelte, tout est plus simple, Fabrice del Dongo nous apparaitrait presque sympathique. L’histoire, enfin, on la découvre et si vite en plus. Comme un voleur qui se serait escrimé à entrer dans une demeure, tentant de fracturer une porte ici, essayant de se faufiler à travers une lucarne là, et finissant par découvrir les clefs de la maison dans une jardinière.
    Voilà j’avais les clefs du bouquin. Enfin je croyais les avoir. Une illusion. Car les interrogations qui suivirent se révélèrent aussi catastrophiques.
    A l’époque, je ne compris pas pourquoi.
    Maintenant je sais.
    Je sais que le verbe lire ne supporte pas l’impératif.
    Et quand il n’y a pas de plaisir dans la lecture mieux vaut tout arrêter. Et ce n’est pas un résumé qui peut pallier la lecture d’un ouvrage car l’histoire n’est pas tout, il y a les personnages, le style, les dialogues… tout ce qui fait la vie d’un roman.
    Alors j’aurais aimé avoir lu, à l’époque, le livre de Daniel Pennac, Comme un roman. Car j’aurais pu répondre à ma jeune professeur de lettres et de latin, que je faisais mienne « les droits imprescriptibles du lecteur » de Pennac en particulier, les numéros 1 et 3.
    Le numéro 2 (« le droit de sauter des pages ») sans le savoir, j’en avais abusé.
    « 1. Le droit de ne pas lire
    3. Le droit de ne pas finir un livre ».

  • La balle de 22 fit un petit trou dans la toile

    3332dd7cbcdd858014a75d6e33ee04c5.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.
     
    Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid, Laissez bronzer les cadavres ! : "La balle de 22 fit un petit trou dans la toile".
     
       La balle de 22 fit un petit trou dans la toile. Imperceptible de loin. Pareil à la gentillesse sur un visage.    
        Sans perdre de temps, Hector manœuvra la coulisse de son fusil, un Anschütz modèle 1911, éjectant la douille puis introduisit une balle de calibre 22 LR Stinger. C’était bien la première fois qu’il ratait sa cible. Il regarda ses mains : elles tremblaient autant qu’un vieux moteur diésel en plein hiver.
        En face, l’homme, affolé par la détonation, s’était jeté à terre et enlevait maintenant son harnais pour se désolidariser de son parachute qui ondoyait lentement dans le vent et qui gonflait comme la robe d’une jeune femme.
        Une erreur aussi grossière, il ne se l’expliquait pas. L’homme était à quelque deux cent mètres : une distance raisonnable. Avec sa propre arme qu’il utilisait régulièrement en compétition, il était capable d’atteindre une cible de 5 à 10 cm de diamètre se trouvant à 300 mètres. Alors pourquoi ? Vent latéral ? La balle avait déviée verticalement. Ce n’était pas ça. Il pensa tout à tour, au réglage de la détente, qu’il n’avait pas changé, à la lunette de visée, qu’il avait vérifié, au chargement de ses munitions, qu’il réalisait lui-même. Non, il ne se satisfaisait d’aucune explication technique. Il fallait chercher ailleurs.
        Il repensa à son enfance, exfoliant ses souvenirs un à un comme pour mieux chercher l’intrus. Il se revit enfant, candide et déjà triste, à l’allure ridicule dans ses vêtements trop amples, avec son pull à col roulé cyan, les habits de son frère aîné, des habits  que sa mère ne pouvait plus payer et qu’ils devaient se partager. C’était comme une injustice, qui sourdait de son ventre et qui irradiait dans tout son corps ; c’était comme un bruit sourd qui tapait fort sur ses tempes, dans son crâne, un méchant démon qui lui criait que la vie est une énorme sentine où les âmes aiment à se vautrer, et où il ne faut rien attendre de la vie, de ses parents. Il aurait voulu hurler tout çà, le gueuler comme son père pouvait faire quand il rentrait soul à la maison et qu’il s’étalait dans le salon, comme un porc dans sa souille, la gueule par terre, près de son vomi, reniflant les poils du chien, un bâtard crasseux. Quelquefois il n’était pas assez ivre et là, sa main lourde ne servait pas qu’à trinquer avec ses compagnons de beuverie. Il aurait voulu que tout ça sorte, comme quand son père débagoulait l’alcool, la bile et du sang parfois. Que les mots jaillissent en cascade, pêle-mêle à la limite, mais rien ne se produisait. Il était aphone, l’estomac noué, rentrant ses épaules et ses illusions dans ce qui lui restait de dignité. Il n’était qu’un enfant, petit, craintif qui aurait voulu que tout se passe autrement.    
        Il se ressaisit. Tout cela était vain. Tout cela était loin. Il arrêta de faire vagabonder ses pensées et se concentra sur son travail. Il recala de nouveau son corps correctement de manière à être correctement allongé et à bien avoir la crosse du fusil dans le creux de son épaule, le fût en arrière de l’appui. Il glissa son majeur sur la détente et se concentra sur sa respiration qu’il voulait la plus douce possible. Cible mouvante et debout à présent, guidon et lunette de visée furent alignés doucement, sans précipitation. Il bloqua sa respiration et appuya d’abord sur la détente tendrement comme des lèvres timides et amoureuses, puis avec plus d’ardeur mais toujours avec maitrise. En bout de course, l’arme fit feu.    
        Cette fois-ci, dans le thorax. Il éjecta la douille, réapprovisionna et fit feu une nouvelle fois : une deuxième balle qui se logea dans la tête du parachutiste qui s’effondra, mort.   
        Une dernière fois, il fit aller la coulisse de son fusil, prit un chiffon pour ramasser les trois douilles puis fourra le tout dans un sac en toile. Il démonta son fusil et le rangea précautionneusement dans une mallette.   
        Il était rassuré, il n’avait plus raté sa cible.
       Il retourna à son véhicule, un sourire aux lèvres, léger comme l’éther ou comme l’air qui s’échappait du mort à quelques pas de lui, soulevant une dernière fois la poitrine du parachutiste, le dernier souffle, une exsufflation de trépassé, les derniers gaz qui dans un ultime élan quittaient cette enveloppe alvéolée qui ne gonflera plus jamais.

  • Je dois dire que s’il y en avait un qu’on ne s’attendait pas à voir, c'était bien lui

    df344dab183d2f5c6e1c347e8d28887b.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle. 

    Philippe Djian, Frictions : "Je dois dire que s’il y en avait un qu’on ne s’attendait pas à voir, c’était bien lui".
     
        Je dois dire que s’il y en avait un qu’on ne s’attendait pas à voir, c’était bien lui. La sonnerie avait retenti et Julie s’était précipitée pour ouvrir avec son entrain habituel. Ensuite elle s’était figée. Figée comme si elle avait vu un fantôme dans l’encadrement de la porte ou Dark Vador en short un sceau de plage à la main.
        Lui, droit comme un bâtonnet de glace, n’attendait qu’un mot pour faire un pas et rentrer dans cette demeure qu’il avait quitté, il y avait plus de quinze ans. Quinze sans nouvelles, sans une lettre, un mot, une explication. Quinze ans sans pouvoir lui faire un câlin, lui dire qu’on l’aime ou qu’il est le plus fabuleux des papas. Quinze ans qu’on avait tiré un trait sur son existence, comme on jette au panier de vieux bouquins qu’on avait espéré pendant longtemps relire un jour et le temps passant, on finit par se rendre compte que ces tas de feuilles poussiéreux encombrent la bibliothèque et qu’on ne les relira certainement jamais et qu’après tout, en les feuilletant rapidement, on réalise qu’ils n’en veulent pas la peine alors d’un geste résigné, un peu triste, on les met à la poubelle presque honteux de s’en être débarrassé. Et on les oublie…
        Il était là. Devant nous. Avec ces cheveux poivre et sel. Maman ne disait rien, elle le regardait. Sans animosité. Elle le regardait avec indifférence, comme si cet homme, le père de ses enfants, n’était plus qu’une molécule d’eau, banale, étrangère parmi les milliards de milliards de milliards d’autres dans l’océan tumultueux de sa nouvelle vie.
        Il fit un geste imperceptible, une grimace sur son visage de cire et notre mère compris qu’il ne fallait pas, qu’on lui devait ça. Même si c’était injuste, ou trop facile. Il fallait le laisser entrer, qu’il pose son cul sur le canapé, qu’il boive son verre de Martini blanc avec un glaçon, qu’il parle sans qu’on l’écoute trop ou sans qu’on veuille véritablement l’écouter et qu’il s’en aille comme il était arrivé. Dans l’indifférence. Bye Bye et à une prochaine dans dix ans, papa…
        Elle avait compris tout ça, maman. Cet homme lui avait fait tellement de mal, qu’elle s’était forgé une enveloppe, translucide, invisible au premier regard mais une enveloppe capable de protéger ses deux enfants contre tous les salopards qui pourraient de nouveau enquiquiner sa petite famille. Elle le laissa passer. Comme le matador esquive le taureau. Les pieds bien fichés dans le sol, sûre d’elle, le regard tourné sur l’adversaire, prêt à contre-attaquer.
        Ensuite il s’était affalé dans le canapé. Fidèle à lui-même. Un verre à la main, il reprenait des couleurs et de l’assurance à mesure que le liquide alcoolisé se répandait en lui imperceptiblement. A chaque gorgée, il semblait plus à l’aise et il nous débitait des banalités sur sa nouvelle vie, sa nouvelle demeure et sa nouvelle voiture sans laisser le temps à maman d’en placer une. Il s’écoutait parlé, croyant à ce qu’il disait ou feignant d’y croire. C’était pitoyable de voir comment il n’avait pas changé et finalement c’était mieux ainsi. Mieux pour maman qui devait se dire qu’elle n’avait rien à regretter d’un type pareil. Qu’elle avait passé quinze ans de sa vie à l’abri de son nombrilisme, de ses retards du jeudi soir, de ses slips sales sur le carrelage gris de la salle de bains, de ses revues de foot dans les WC, de son goût immodéré pour les croupes rivales, des oublis trop répétés de nos anniversaires, de son boulot de cadre aux horaires soi-disant élastiques, de sa morgue.
        Cet homme qui avait partagé le lit de maman n’avait plus rien à lui apporter. Au contraire, il lui avait pris déjà beaucoup de son énergie et de sa joie de vivre. Elle ne ressentait plus rien pour lui, pas même de l’empathie car elle connaissait trop l’homme qu’il était et la part de lui-même qui semblait n’avoir pas changé. Elle n’avait pas de rancœur. Elle avait cette tristesse qu’ont les femmes comme elle d’avoir rencontrer des hommes comme papa. Cette tristesse qu’elle avait enfuie au fond de son petit cœur, cette tristesse d’avoir eu la malchance d’avoir rencontré cet homme-là, un soir où grisée par l’alcool et la cigarette, elle avait croisé le chemin de cet ado aux cheveux longs et blonds, sûr de lui, conquérant.
        Et maintenant qu’il était à ses côtés, seul, dans son costume gris mal taillé, et qu’il parlait depuis bientôt une heure sans discontinuer, son assurance commençait à s’effriter, morceau par morceau, grain par grain ; le roc qu’il voulait nous faire croire qu’il était devenu, s’émiettait pour tomber en poussière sur le tapis du salon, pitoyablement. Il se liquéfiait devant maman, devenant un petit garçon bien docile qui se résignait devant ce bloc de glace impassible, devant cet iceberg inaccessible qui flottait à côté de lui.     Maman ne dit rien ou si peu. Elle n’avait pas besoin. Tout en elle était fermé à cet homme. Il finit par poser ce verre, qu’il avait vidé et tripoté nerveusement pendant tout cette rencontre improbable et se leva, seul. Maman restant assise. Il bredouilla même des excuses et quitta notre maison.
        Maman ne dit rien, ce soir-là, pas même les autres soirs. Cela n’était pas arrivé.
        Et c’était mieux ainsi. Mieux pour ma sœur, mieux pour moi.
        Et même mieux pour cet homme, que j’avais jadis appelé papa.