Toujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.
Jean-Pierre Amette, la maîtresse de Brecht : "Il resta un long moment à regarder défiler les forêts et leurs rousseurs."
Il resta un long moment à regarder défiler les forêts et leurs rousseurs. Puis il quitta sa banquette et se rendit aux toilettes. Maintenant il savait. Ou plutôt, il s’était enfin décidé. Décidé à tirer un trait sur beaucoup de choses qu’il ne supportait plus dans sa vie. Il avait fait ce voyage, si on peut dire, pour ça. C’était comme une délivrance, un poids en moins sur son ventre qui l’avait si souvent oppressé.
Il sortit son agenda et jeta un rapide coup d’œil sur ses rendez-vous du lundi. Il avait fait cela comme un geste machinal mais pouvoir se ré-intéresser à son boulot était déjà un grand pas pour lui. Il se sentait mieux, c’était une évidence. Il en sourit puis se ravisa et pensa qu’après tout, c’était dimanche, et qu’il valait mieux profiter de cette belle journée plutôt que de se plonger dans le boulot.
Il se leva, fit quelques pas. La voix de l’hôtesse annonçait en allemand l’arrivée prochaine en gare. Pourquoi pas, se dit-il.
Il revint à son siège et rangea ses affaires. L’agenda dans sa serviette, son bloc de dessin, il est architecte, aussi. Il plaça son crayon à papier dans sa sacoche et attendit sagement, la sacoche sur ses genoux, l’arrivée prochaine en gare.
Dehors l’air était un peu frais mais le soleil réussissait à darder ses rayons à travers une mince trouée de nuages blancs. Il se sentait bien ici. Sa femme n’avait jamais pu comprendre ça. C’était sa terre natale. Là où il avait grandit. Là où dormaient ses souvenirs d’enfance. Berlin. Vers l’horizon, il y avait cette ville fantastique, trop longtemps coupée en deux. La ville de son enfance. Il pouvait presque étendre la main et la sentir vibrer.
Il s’assit sur un banc. La gare était derrière lui, dans cette petite ville de province qu’il ne connaissait pas. Mais peu importe, il se sentait chez lui.
Il repensa à ses voyages en bus, adolescent, quand il se rendait au centre ville pour acheter quelques livres. C’était un plaisir infini que sa mère lui offrait. C’était sa liberté. Sa bouffée d’air pur dans cette ville bunker.
Il resta là, à regarder, simplement regarder, ce qu’il avait laissé dans son pays natal pour cette femme qui, un jour du mois de mai, lui avait tourné la tête. Il ne regrettait rien. Non, si c’était à refaire, il le referait. La vie est trop courte pour qu’on se retourne sur elle, trop courte pour lui accorder la faveur de regrets amers.
Il mit dans sa poche suffisamment de souvenirs, lesta son cœur d’une provision suffisante de bonheur et s’arracha de ce banc sur lequel il venait de s’asseoir pas moins de trois heures. Il marcha vers la gare, pris un billet pour le retour, il était temps, songea-t-il et remonta dans le train. Destination la France.
Avec le tacatac monotone, il réfléchit à ce qu’il allait lui dire. Quelques mots pour clarifier les choses. Il allait lui dire gentiment. Il ne voulait pas la blesser, pas lui faire du mal. Après tout, elle aurait pu être la mère de son enfant.
Alors il chercha des mots clairs mais pas méchants. Pondéré, il voulait être pondéré. Pas méchant. Mais il fallait qu’elle comprenne car ils ne pouvaient plus rester ainsi.
Il ne voulait pas lui dire qu’il ne l’aimait plus. Il ne voulait pas non plus lui dire qu’il ne supportait plus sa présence, même si c’était un peu vrai.
Il réfléchit longtemps et lui vint à l’esprit : le matin quand tu te lèves, je ne te vois plus. Tu m’es transparente. Comme un voile fin qui se serait mis entre nous et qui nous aurait définitivement séparés. Claire, nous devrions nous quitter, ne crois-tu pas ?
Voilà, il allait lui dire quelque chose comme ça. Elle comprendra. Il en était sûr.
Dehors les grandes forêts allemandes étendaient leur manteau noir et une page se fermait irréparablement. Mais la vie, elle, continuait.
Commentaires
Un vrai tour de force que voici !
Cotre blog est original et ne manque pas de saveur.
Félicitations.
Amitié
Miriam
Merci beaucoup Miriam pour vos félicitations. Je suis heureux que vous appréciez mon blog et cela me donne envie de persévérer dans cette voie.
Olivier.