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J'avais fait remplir un flacon d'acide chlorhydrique...

medium_141329H.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

Jean-Philippe Toussaint, Faire l’amour : "J’avais fait remplir un flacon d’acide chlorhydrique, et je le gardais sur moi en permanence, avec l’idée de le jeter un jour à la gueule de quelqu’un."

    J’avais fait remplir un flacon d’acide chlorhydrique, et je le gardais sur moi en permanence, avec l’idée de le jeter un jour à la gueule de quelqu’un. Une idée comme ça qui m’était venue un soir de beuverie. Mais à force de trimballer la petite bouteille, j’avais fini par prendre goût à me balader avec cet accessoire. Ca me rendait guilleret de savoir qu’il était prêt de mon cœur, dans la poche de mon veston. Corrosif, brûlant comme la passion peut l’être.   

    Alors il était sur moi à tout moment et à tout moment, je pouvais pourrir la vie de quelqu’un, lui jeter le contenu de mon flacon dans la gueule. Comme ça, pour rien. Simplement parce j’en avais envie. Ou parce que sa gueule ne me revenait pas. Ou pour mille autres raisons toutes plus insignifiantes les unes que les autres.   

    Evidemment personne n’était au courant. Ce n’est pas le genre de chose qu’on avoue facilement. Etait-ce une perversion, un jeu malsain, une folie passagère ? Je ne le saurais jamais. Cela avait cessé comme cela avait commencé : brutalement.    

    A l’époque, je sortais avec une copine que j’avais rencontrée sur le campus scientifique de Lille 1 : Aude, une charmante fille, à vrai dire. Elle avait de longs cheveux blonds qui lui descendaient jusqu’aux creux des reins et de grands yeux bleus, plus clairs qu’un ciel d’azur. Une vraie beauté. Son seul défaut, c’était de se jeter dans tous les bras chaleureux qui croisaient son chemin. A la longue, ça m’avait lassé.    

    Un soir, Aude avait trouvé la fameuse bouteille : une bouteille de parfum dont j’avais remplacé le contenu. Intriguée, elle l’avait humé. Je n’avais pas eu le temps de l’en empêcher. Elle ne m’en avait même pas voulue, et ne m’avait posé aucune question. Elle s’était contentée de me regarder avec une petite moue interrogatrice à peine réprobatrice qui semblait vouloir dire : « Mais qu’est-ce qui te passes par la tête Marc… Je ne préfères pas savoir ».    

    Alors j’avais continué mes promenades avec la petite bouteille d’Armani. Elle et moi, nous nous rassurions. Un peu comme un vieux couple. Je ne sais pas s’il fallait y voir quelque chose de symbolique, quelque chose de psychanalytique mais la présence de ce liquide incolore et corrosif avait changé la perception que j’avais des gens que je croisais. Ce n’était plus une foule anonyme, sans visage, qui déambulait devant mes yeux, c’était des individualités qui frôlaient trop souvent, sans le savoir, le défigurement. Ils m’inspiraient de la pitié. Ou plutôt, une sorte d’empathie. J'aimais à penser qu’il y avait peut être dans cette foule qui descendait l’escalator du Furet Du Nord, une personne qui me ressemblait. Une personne qui transportait de l’acide chlorhydrique, de la soude caustique ou de l’ammoniac. Et qui aurait pu me lancer au visage ce liquide corrosif. Je pense même qu’au fond de moi, je l’espérais. Je ne voulais pas me l’avouer mais il y avait des signes qui ne trompaient pas.
    Tout ça était symbolique, celui que je cherchais désespéramment pour lui foutre à la gueule l’acide et que je ne trouvais pas, c’était moi. C’était pour moi cet acide. Il me le fallait en pleine face, car la fuite en avant ne me menait nulle part. C’était un élan vital. Désespéré. Un ultime essai.
    Tout ce qu’avait trouvé mon pauvre subconscient, c’était cette mascarade morbide, ce pauvre stratagème qui a finalement abouti mais pas comme je l’avais prévu. Comme quoi la vie emprunte souvent des détours pour parvenir à ce qu’elle veut.
    Un matin où je me rendais à la fac en métro, je fus effleuré par une automobile. Oh ! Rien de grave. Seulement, en chutant, la bouteille d’acide se brisa et le temps que je retrouve mes esprits, je fus brûlé au troisième degré et conduit aux urgences du CHU.
    Il y eut alors dans l’ordre : des bras au ciel. Une tentative personnelle et vaine d’explications. Des mines déconfites. L’incompréhension des parents et du milieu médical. Le temps des sermons. Le défilé des amis. Celui des grands-parents…
    De l’humiliation distillée au compte goutte. Un vrai plaisir. Ca me blinda pour un moment. Mais dans cette pièce de boulevard, il y eut sur la fin, une jeune femme. Une lumière dans cette angoissante et obscure vexation. C’était la fille de l’un des amis de travail de mon père : Clémentine. Petite et menue, elle avait de jolies tâches de rousseur qui semblaient s’être concertés pour lui embellir le teint et le visage de la plus belle des façons. Elle n’était pas extraordinairement belle, mais elle avait du charme et son sourire était craquant : je tombai fou amoureux d’elle en moins d’une semaine.
    Il y eut bien évidemment des stigmates mais je les oubliais vite car six mois plus tard, Clémentine me passait la bague au doigt. Cet acide, que j’avais voulu comme un fou lancé à la face d’un inconnu, avait finalement scellé notre union. Il avait été le catalyseur d’une rencontre improbable.

 

Commentaires

  • Bonjour,
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