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La balle de 22 fit un petit trou dans la toile

3332dd7cbcdd858014a75d6e33ee04c5.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.
 
Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid, Laissez bronzer les cadavres ! : "La balle de 22 fit un petit trou dans la toile".
 
   La balle de 22 fit un petit trou dans la toile. Imperceptible de loin. Pareil à la gentillesse sur un visage.    
    Sans perdre de temps, Hector manœuvra la coulisse de son fusil, un Anschütz modèle 1911, éjectant la douille puis introduisit une balle de calibre 22 LR Stinger. C’était bien la première fois qu’il ratait sa cible. Il regarda ses mains : elles tremblaient autant qu’un vieux moteur diésel en plein hiver.
    En face, l’homme, affolé par la détonation, s’était jeté à terre et enlevait maintenant son harnais pour se désolidariser de son parachute qui ondoyait lentement dans le vent et qui gonflait comme la robe d’une jeune femme.
    Une erreur aussi grossière, il ne se l’expliquait pas. L’homme était à quelque deux cent mètres : une distance raisonnable. Avec sa propre arme qu’il utilisait régulièrement en compétition, il était capable d’atteindre une cible de 5 à 10 cm de diamètre se trouvant à 300 mètres. Alors pourquoi ? Vent latéral ? La balle avait déviée verticalement. Ce n’était pas ça. Il pensa tout à tour, au réglage de la détente, qu’il n’avait pas changé, à la lunette de visée, qu’il avait vérifié, au chargement de ses munitions, qu’il réalisait lui-même. Non, il ne se satisfaisait d’aucune explication technique. Il fallait chercher ailleurs.
    Il repensa à son enfance, exfoliant ses souvenirs un à un comme pour mieux chercher l’intrus. Il se revit enfant, candide et déjà triste, à l’allure ridicule dans ses vêtements trop amples, avec son pull à col roulé cyan, les habits de son frère aîné, des habits  que sa mère ne pouvait plus payer et qu’ils devaient se partager. C’était comme une injustice, qui sourdait de son ventre et qui irradiait dans tout son corps ; c’était comme un bruit sourd qui tapait fort sur ses tempes, dans son crâne, un méchant démon qui lui criait que la vie est une énorme sentine où les âmes aiment à se vautrer, et où il ne faut rien attendre de la vie, de ses parents. Il aurait voulu hurler tout çà, le gueuler comme son père pouvait faire quand il rentrait soul à la maison et qu’il s’étalait dans le salon, comme un porc dans sa souille, la gueule par terre, près de son vomi, reniflant les poils du chien, un bâtard crasseux. Quelquefois il n’était pas assez ivre et là, sa main lourde ne servait pas qu’à trinquer avec ses compagnons de beuverie. Il aurait voulu que tout ça sorte, comme quand son père débagoulait l’alcool, la bile et du sang parfois. Que les mots jaillissent en cascade, pêle-mêle à la limite, mais rien ne se produisait. Il était aphone, l’estomac noué, rentrant ses épaules et ses illusions dans ce qui lui restait de dignité. Il n’était qu’un enfant, petit, craintif qui aurait voulu que tout se passe autrement.    
    Il se ressaisit. Tout cela était vain. Tout cela était loin. Il arrêta de faire vagabonder ses pensées et se concentra sur son travail. Il recala de nouveau son corps correctement de manière à être correctement allongé et à bien avoir la crosse du fusil dans le creux de son épaule, le fût en arrière de l’appui. Il glissa son majeur sur la détente et se concentra sur sa respiration qu’il voulait la plus douce possible. Cible mouvante et debout à présent, guidon et lunette de visée furent alignés doucement, sans précipitation. Il bloqua sa respiration et appuya d’abord sur la détente tendrement comme des lèvres timides et amoureuses, puis avec plus d’ardeur mais toujours avec maitrise. En bout de course, l’arme fit feu.    
    Cette fois-ci, dans le thorax. Il éjecta la douille, réapprovisionna et fit feu une nouvelle fois : une deuxième balle qui se logea dans la tête du parachutiste qui s’effondra, mort.   
    Une dernière fois, il fit aller la coulisse de son fusil, prit un chiffon pour ramasser les trois douilles puis fourra le tout dans un sac en toile. Il démonta son fusil et le rangea précautionneusement dans une mallette.   
    Il était rassuré, il n’avait plus raté sa cible.
   Il retourna à son véhicule, un sourire aux lèvres, léger comme l’éther ou comme l’air qui s’échappait du mort à quelques pas de lui, soulevant une dernière fois la poitrine du parachutiste, le dernier souffle, une exsufflation de trépassé, les derniers gaz qui dans un ultime élan quittaient cette enveloppe alvéolée qui ne gonflera plus jamais.

Commentaires

  • On fait des pieds et des mains, merde, pour tenter un instant de se faire entendre, tout du moins... lire... Pour s'informer sur la "scène" littéraire underground, rien de moins, rien d'mieux que ce forum: http://andyverol.asianfreeforum.com/index.htm

    C'est gratos et sans intention de nuire. (ça fait mal au coeur le flood, mais quand on est dans l'fond du caniveau des mots, on n'a que c'choix là)... Offre sérieuse, 50% de forum offert sur la gratuité d'entrée...

  • Nous reprenons peu ou prou la même idée.
    Un roman feuilleton à plusieures mains est en cours sur ce blog: http://frontdeliberationduberry.hautetfort.com/
    A vous de jouer!

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