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roman

  • Album Flaubert La Pléiade

    L’album Flaubert est le 11ème album de la Pléiade consacré à cet écrivain illustre qui en compte à présent 55. Il a fallu, chose étonnante, attendre le 11ème ouvrage pour qu’un album consacré à l’auteur de Madame Bovary, l’Education sentimentale, Salammbô, Bouvard et Pécuchet paraisse.

    Cet album de la pléiade comme les autres est une iconographie commentée : une biographie agrémentée d’illustrations (photos, dessins, peintures, schémas, extraits de manuscrits…).

    L’album Flaubert dont toutes les illustrations sont en noir et blanc comporte 220 pages. Les deux auteurs de l’iconographie réunie et commentée sont Jean Bruneau et Jean A. Ducourneau. Cet ouvrage plaira à tous ceux qui vénèrent le grand homme, celui qui a livré à la postérité selon la formule du quotidien l’Excelsior en 1910 et qui avait enquêté auprès d’un public lettré, le « plus beau roman de la langue française ».

    Madame Bovary est un chef d’œuvre non pas par son histoire, l’histoire ordinaire d’un anti-héros, Emma Bovary, épouse désœuvrée d’un médecin de campagne, Charles, qui mène une existence banale et sans trop d’intérêt au fond de la Normandie en 1830 mais plutôt par le culte du style, un souci de perfection voire une rage que Flaubert pousse jusqu’à corriger et reprendre 6 fois un même passage.

    Antoine Albalat (1856-1935) qui a écrit Le travail du style nous apprend (page 228 ; Comment on devient écrivain suivi de Le travail du style enseigné par les corrections manuscrites des grands écrivains, Editions Fantasy éditions (4 octobre 2016)) qu’il écrivait 2 pages par semaine, vingt-cinq pages en six semaines. « Il s’applaudissait d’avoir terminé en quatre semaines quinze pages et, de juillet à fin novembre, une scène. »

    Flaubert écrivait en 1852 à Louise Colet, sa maîtresse : « … un style qui serait beau, que quelqu’un fera à quelque jour, dans dix ans, ou dans dix siècles, et qui sera rythmé comme le vers, précis comme le langage des sciences, et avec des ondulations, des ronflements de violoncelle, des aigrettes de feux, un style qui vous entrerait dans l’idée comme un coup de stylet, et où votre pensée enfin voguerait sur des surfaces lisses, comme lorsqu’on file dans un canot avec bon vent arrière. »

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  • Carnets d'enquêtes, Emile Zola

    Pour ceux qui s’intéressent à Emile Zola et aux Rougon-Macquart, un ouvrage indispensable et passionnant : Les carnets d’enquêtes, une ethnographie inédite de la France, 686 pages, éditeur Plon (octobre 1993), collection : Terre Humaine.

    L’ouvrage est évidemment épuisé, mais on peut le trouver facilement et à un prix abordable sur Internet sachant qu’il a aussi été publié par France Loisirs.

    Un extrait : pages 486 et 487, des notes d’Emile Zola pour l’écriture de Germinal.

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  • D'après une histoire vraie, Delphine de Vigan

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    "De certains mots, de certains regards, on ne guérit pas. Malgré le temps passé, malgré la douceur des autres mots et des autres regards."

    Delphine de vigan, D'après Une histoire vraie, JC Lattés, PRIX RENAUDOT et PRIX GONCOURT DES LYCEENS

     

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  • Histoire de la violence, Edouard Louis

    littérature,écriture,roman,nouvelles,Edouard,Louis,SeuilAprès En finir avec Eddy Bellegueule, un roman poignant et fort, Edouard Louis a écrit Histoire de la violence. Le roman paraitra, aux Editions du Seuil, le 7 janvier.

    En voici un résumé d'après l'auteur :

    J’ai rencontré Reda un soir de Noël. Je rentrais chez moi après un repas avec des amis, vers quatre heures du matin. Il m’a abordé dans la rue et j’ai fini par lui proposer de monter dans mon studio. Ensuite, il m’a raconté l’histoire de son enfance et celle de l’arrivée en France de son père, qui avait fui l’Algérie. Nous avons passé le reste de la nuit ensemble, on discutait, on riait. Vers six heures du matin, il a sorti un revolver et il a dit qu’il allait me tuer. Il m’a insulté, étranglé, violé. Le lendemain les démarches médicales et judiciaires ont commencé.

    Plus tard, je me suis confié à ma sœur. Je l’ai entendue raconter à sa manière ces événements.
    En revenant sur mon enfance, mais aussi sur la vie de Reda et celle de son père, en réfléchissant à l’émigration, au racisme, à la misère, au désir ou aux effets du traumatisme, je voudrais à mon tour comprendre ce qui s’est passé cette nuit-là. Et par là, esquisser une histoire de la violence.

    Source : http://edouardlouis.com/2015/11/05/a-paraitre-histoire-de-la-violence/

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  • Les monarchies divines, le voyage d’Hawkwood de Paul Kearney

     Voici un extrait du 1er tome des "Monarchies divines" de Paul Kearney, une fresque épique de Fantasy en 5 tomes, bien écrite : le style est très agréable. Il s'agit du "Voyage d'Hawkwood" qui a paru aux éditions du Rocher et en poche, aux éditions du "Livre de poche".

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     Paul Kearney est né en 1967 en Irlande du Nord, où il habite aujourd’hui, après deux parenthèses à Copenhague et aux États-Unis.

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    Présentation de l'éditeur

    Les différents royaumes qui gouvernent le monde sont entrés en guerre. Aekir, la grande cité ramusienne, vient de tomber sous le joug du sultan Aurungzeb. À Hebrion, le roi Abeleyn IV s’inquiète de la montée des Inceptines, cet ordre religieux fanatique qui veut faire disparaître toute trace de magie sur terre. Alors que le noble Hawkwood revient à Abrusio à bord de sa caravelle, une partie de son équipage se fait arrêter. Pour survivre, il doit accepter un marché : aller à la recherche d’un continent légendaire. Il a pour équipage les magiciens et les sorciers devenus indésirables dans la cité. Malheureusement, personne n’est jamais revenu vivant de ce périple impossible… Série devenue culte, la fresque épique en cinq volumes des Monarchies divines ravira les amateurs d’une fantasy mature et sombre.

    "Prologue

    Année du saint 422

    Navire de la mort – il cabotait sous la brise du nord-ouest, les huniers immobiles, mais les vergues brassées pour affronter un vent perdu depuis trop longtemps en haute mer. L’équipage de la yole fut le premier à l’apercevoir, la veille de la Saint-Beynac. Il donnait lourdement de la gîte, en dépit de la houle légère, et les vestiges de ses voiles vibrèrent et s’agitèrent lorsque la brise fraîchit.

    C’était une journée d’un bleu parfait, un ciel et nu océan immenses qui se reflétaient même l’un sur l’autre. Quelques goélands voletaient, impatients, autour des filets remplis d’argent remorqués par l’équipage de la yole qui faisait des affaires en or, et un banc d’oyvips étincelants, anormalement nombreux, batifolait par bâbord – mauvaise augure. A l’intérieur de chaque banc, disait-on, hurlait l’âme d’un noyé. Mais le vent était clément et le banc démesuré –perceptible telle une ombre gigantesque sous la coque d’un navire, scintillant de temps à autre lorsque le flanc lumineux d’un poisson se contorsionnait ; les pêcheurs étaient présents depuis le quart du matin, remplissant leurs filets avec la récompense incertaine de la mer, la ligne obscure de la côte hebrionienne n’étant que pure conjecture, au loin, bien au-delà de leurs épaules droites.

    Le capitaine de l’une des yoles se protégea les yeux, marqua une pause puis scruta attentivement l’océan, pierre bleue scintillant sur du cuir ondoyant, le menton hérissé de poils aussi pâles que ceux d’une ortie. L’ombre de l’eau, lumineuse, se gondolait dans ses orbites.

    - Quelque chose en vue, marmonna-t-il.

    - Qu’est-ce, pater ?

    - Une caraque, fiston ; un navire de haute mer visiblement".

    Paul Kearney, Les monarchies divines, 1er tome Le voyage d'Hawkwood

     

    Carte du "monde" des Monarchies Divines :

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    Et enfin, les 4 autres tomes :

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  • Le Grand Robert ****

    Beaucoup mieux que le Petit Robert voici le Grand Robert !

    Ne chercher pas à l'acheter en version papier, il ne sera jamais plus réédité...

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    Comme feu le fameux Quid ou l' Encyclopædia Universalis en vingt volumes... il faut désormais se tourner vers les versions numériques.

    Alors le Grand Robert, c'est le dictionnaire le plus riche et le plus complet de la langue française :
    - 100 000 mots, 350 000 sens, toutes les orthographes, étymologies et nuances d'emploi.
    - Une extraordinaire anthologie de citations littéraires : 325 000 citations et 2 000 notices biographiques d'auteurs.
    - 25 000 expressions, locutions et proverbes.
    - Un réseau d'un million de liens hypertextes, sur les synonymes, analogies, contraires, dérivés et composés...

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     J'avoue, j'adore le papier et les livres mais je me sers de moins en moins des dictionnaires papier...

    Il est tellement plus facile et rapide de faire une recherche sur le Grand Robert version numérique notamment pour les recherches de citations d'après un ou deux mots, au-delà le Grand Robert n'est pas très efficace.

    Vous avez la possibilité de prendre un abonnement ou d'acheter le version numérique à télécharger et à installer sur votre PC ou MAC : seul bémol, vous n'avez que 3 installations possibles... Alors à 149€, réfléchissez-bien où installer le logiciel !

    Pour plus d'informations, le site de l'éditeur Robert : http://www.lerobert.com/le-grand-robert/#coffret

     

    Avec en prime, la petite présentation d'Alain Rey, linguiste et lexicographe, qu'on ne présente plus, toujours aussi passionné et passionnant, qui est un peu le "PAPA" du Petit et du Grand Robert !

     

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  • En finir avec Eddy Bellegueule, d'Edouard Louis

    écriture,roman,littérature,nouvellesExtrait de : En finir avec Eddy Bellegueule, d'Édouard Louis, Le Seuil, janvier 2014, 219 pages, 17 €

     

    Livre 1

    Picardie

    (fin des années 1990 - début des années 2000)

     

    Rencontre

    De mon enfance je n’ai aucun souvenir heureux. Je ne veux pas dire que jamais, durant ces années, je n’ai éprouvé de sentiment de bonheur ou de joie. Simplement la souffrance est totalitaire : tout ce qui n’entre pas dans son système, elle le fait disparaître.

    Dans  le  couloir  sont  apparus  deux  garçons, le premier, grand, aux cheveux roux, et l’autre, petit, au dos voûté. Le grand aux cheveux roux a craché Prends ça dans ta gueule.

    Le crachat s’est écoulé lentement sur mon visage, jaune et épais, comme ces glaires sonores qui obstruent la gorge des personnes âgées ou des gens malades, à l’odeur forte et nauséabonde. Les rires aigus, stridents, des deux garçons Regarde il en a plein la gueule ce fils de pute. Il s’écoule de mon œil jusqu’à mes lèvres, jusqu’à entrer dans ma bouche. Je n’ose pas l’essuyer. Je pourrais le faire, il suffirait d’un revers de manche. Il suffirait d’une fraction de seconde, d’un geste minuscule pour que le crachat n’entre pas en contact avec mes lèvres, mais je ne le fais pas, de peur qu’ils se sentent offensés, de peur qu’ils s’énervent encore un peu plus.

     

    Je n’imaginais pas qu’ils le feraient. La violence ne m’était pourtant pas étrangère, loin de là. J’avais depuis toujours, aussi loin que remontent mes souvenirs, vu mon père ivre se battre à la sortie du café contre d’autres hommes ivres, leur casser le nez ou les dents. Des hommes qui avaient regardé ma mère avec trop d’insistance et mon père, sous l’emprise de l’alcool, qui fulminait Tu te prends pour qui à regarder ma femme comme ça sale bâtard. Ma mère qui essayait de le calmer Calme-toi chéri, calme-toi mais dont les protestations étaient ignorées. Les copains de mon père, qui à un moment finissaient forcément par intervenir, c’était la règle, c’était ça aussi être un vrai ami, un bon copain, se jeter dans la bataille pour séparer mon père et l’autre, la victime de sa saoulerie au visage désormais couvert de plaies. Je voyais mon père, lorsqu’un de nos chats mettait au monde des petits, glisser les chatons tout juste nés dans un sac plastique de supermarché et claquer le sac contre une bordure de béton jusqu’à ce que le sac se remplisse de sang et que les miaulements cessent. Je l’avais vu égorger des cochons dans le jardin, boire le sang encore chaud qu’il extrayait pour en faire du boudin (le sang sur ses lèvres, son menton, son tee-shirt) C’est ça qu’est le meilleur, c’est le sang quand il vient juste de sortir de la bête qui crève. Les cris du cochon agonisant quand mon père sectionnait sa trachée-artère étaient audibles dans tout le  village.

     

    J’avais dix ans. J’étais nouveau au collège. Quand ils sont apparus dans le couloir je ne les connaissais pas. J’ignorais jusqu’à leur prénom, ce qui n’était pas fréquent dans ce petit établissement scolaire d’à peine deux cents élèves où tout le monde apprenait vite à se connaître. Leur démarche était lente, ils étaient souriants, ils ne dégageaient aucune agressivité, si bien que j’ai d’abord pensé qu’ils venaient faire connaissance. Mais pourquoi les grands venaient-ils me parler à moi qui étais nouveau ? La cour de récréation fonctionnait de la même manière que le reste du monde : les grands ne côtoyaient pas les petits. Ma mère le disait en parlant des ouvriers Nous les petits on intéresse personne, surtout pas les grands bourges.

     

    Dans le couloir ils m’ont demandé qui j’étais, si c’était bien moi Bellegueule, celui dont tout le monde parlait. Ils m’ont posé cette question que je me suis répétée ensuite, inlassablement, des mois, des années,

    C’est toi le pédé ?

    En la prononçant ils l’avaient inscrite en moi pour toujours tel un stigmate, ces marques que les Grecs gravaient au fer rouge ou au couteau sur le corps des individus déviants, dangereux pour la communauté. L’impossibilité de m’en défaire. C’est la surprise qui m’a traversé, quand bien même ce n’était pas la première fois que l’on me disait une chose pareille. On ne s’habitue jamais à l’injure.

     

    Un sentiment d’impuissance, de perte d’équilibre. J’ai souri – et le mot pédé qui résonnait, explosait dans ma tête, palpitait en moi à la fréquence de mon rythme cardiaque.

    J’étais maigre, ils avaient dû estimer ma capacité à me défendre faible, presque nulle. À cet âge mes parents me surnommaient fréquemment Squelette et mon père réitérait sans cesse les mêmes blagues Tu pourrais passer derrière une affiche sans la décoller. Au village, le poids était une caractéristique valorisée. Mon père et mes deux frères étaient obèses, plusieurs femmes de la famille, et l’on disait volontiers Mieux vaut pas se laisser mourir de faim, c’est une bonne maladie.

     

    (L’année d’après, fatigué par les sarcasmes de ma famille sur mon poids, j’entrepris de grossir. J’achetais des paquets de chips à la sortie de l’école avec de l’argent que je demandais à ma tante – mes parents n’auraient pas pu m’en donner – et m’en gavais. Moi qui avais jusque-là refusé de manger les plats trop gras que préparait ma mère, précisément par crainte de devenir comme mon père et mes frères – elle s’exaspérait : Ça va pas te boucher ton trou du cul –, je me mis soudainement à tout avaler sur mon passage, comme ces insectes qui se déplacent en nuages et font disparaître des paysages entiers. Je pris une vingtaine de kilos en un an.)

     

    Ils m’ont d’abord bousculé du bout des  doigts, sans trop de brutalité, toujours en riant, toujours le crachat sur mon visage, puis de plus en plus fort, jusqu’à claquer ma tête contre le mur du couloir. Je ne disais rien. L’un m’a saisi les bras pendant que l’autre me mettait des coups de pied, de moins en moins souriant, de plus en plus sérieux dans son rôle, son visage exprimant de plus en plus de concentration, de colère, de haine. Je me souviens : les coups dans le ventre, la douleur provoquée par le choc entre ma tête et le mur de briques. C’est un élément auquel on ne pense pas, la douleur, le corps souffrant tout à coup, blessé, meurtri. On pense – devant ce type de scène, je veux dire : avec un regard extérieur – à l’humiliation, à l’incompréhension, à la peur, mais on ne pense pas à la douleur.

     

    Les coups dans le ventre me faisaient suffoquer et ma respiration se bloquait. J’ouvrais la bouche le plus possible pour y laisser pénétrer l’oxygène, je gonflais la poitrine, mais l’air ne voulait pas entrer ; cette impression que mes poumons s’étaient soudainement remplis d’une sève compacte, de plomb. Je les sentais lourds tout à coup. Mon corps tremblait, semblait ne plus m’appartenir, ne plus répondre à ma volonté. Comme un corps vieillissant qui s’affranchit de l’esprit, est abandonné par celui-ci, refuse de lui obéir. Le corps qui devient un fardeau.

     

    Ils riaient quand mon visage se teintait de rouge à cause du manque d’oxygène (le naturel des classes populaires, la simplicité des gens de peu qui aiment rire, les bons vivants). Les larmes me montaient aux yeux, mécaniquement, ma vue se troublait comme c’est le cas lorsqu’on s’étouffe avec sa salive ou quelque nourriture. Ils ne savaient pas que c’était l’étouffement qui faisait couler mes larmes, ils s’imaginaient que je pleurais. Ils s’impatientaient.

     

    J’ai senti leur haleine quand ils se sont approchés de moi, cette odeur de laitages pourris, d’animal mort. Les dents, comme les miennes, n’étaient probablement jamais lavées. Les mères du village ne tenaient pas beaucoup à l’hygiène dentaire de leurs enfants. Le dentiste coûtait trop cher et le manque d’argent finissait toujours par se transformer en choix. Les mères disaient De toute façon y a plus important dans la vie. Je paye encore actuellement d’atroces douleurs, de nuits sans sommeil, cette négligence de ma famille, de ma classe sociale, et j’entendrai des années plus tard, en arrivant à Paris, à l’École normale, des camarades me demander Mais pourquoi tes parents ne t’ont pas emmené chez un orthodontiste. Mes mensonges. Je leur répondrai que mes parents, des intellectuels un peu trop bohèmes, s’étaient tant souciés de ma formation littéraire qu’ils en avaient parfois négligé ma santé.

     

    Dans le couloir le grand aux cheveux roux et le petit au dos voûté criaient. Les injures se succédaient avec les coups, et mon silence, toujours. Pédale, pédé, tantouse, enculé, tarlouze, pédale douce, baltringue, tapette (tapette à mouches), fiotte, tafiole, tanche, folasse, grosse tante, tata, ou l’homosexuel, le gay. Certaines fois nous nous croisions dans l’escalier bondé d’élèves, ou autre part, au milieu de la cour. Ils ne pouvaient pas me frapper au vu de tous, ils n’étaient pas si stupides, ils auraient pu être renvoyés. Ils se contentaient d’une injure, juste pédé (ou autre chose). Personne n’y prenait garde autour mais tout le monde l’entendait. Je pense que tout le monde l’entendait puisque je me souviens des sourires de satisfaction qui apparaissaient sur le visage d’autres dans la cour ou dans le couloir, comme le plaisir de voir et d’entendre le grand aux cheveux roux et le petit au dos voûté rendre justice, dire ce que tout le monde pensait tout bas et chuchotait sur mon passage, que j’entendais Regarde, c’est Bellegueule, la pédale.

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    Le Seuil, 2014

    Quatrième de couverture  « Je suis parti en courant, tout à coup. Juste le temps d'entendre ma mère dire Qu'est-ce qui fait le débile là ? Je ne voulais pas rester à leur côté, je refusais de partager ce moment avec eux. J'étais déjà loin, je n'appartenais plus à leur monde désormais, la lettre le disait. Je suis allé dans les champs et j'ai marché une bonne partie de la nuit, la fraîcheur du Nord, les chemins de terre, l'odeur de colza, très forte à ce moment de l'année. Toute la nuit fut consacrée à l'élaboration de ma nouvelle vie loin d'ici. »

    En vérité, l'insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n'a été que seconde. Car avant de m'insurger contre le monde de mon enfance, c'est le monde de mon enfance qui s'est insurgé contre moi. Très vite j'ai été pour ma famille et les autres une source de honte, et même de dégoût. Je n'ai pas eu d'autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.

     

    Édouard Louis a 21 ans. Il a déjà publié Pierre Bourdieu: l'insoumission en héritage (PUF, 2013). En finir avec Eddy Bellegueule est son premier roman.

     

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    http://www.youtube.com/watch?v=tWxMe7jvUOU.

    http://www.franceculture.fr/emission-du-jour-au-lendemain-edouard-louis-2014-03-26.

  • Ecrire un scénario

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    Pour écrire des histoires, il y a deux méthodes : écrire un scénario ou partir d’une simple idée en espérant que cela conduise quelque part… (à la manière de Stéphane King par exemple qui compare l’écrivain (dans Ecriture, mémoires d’un métier, éditions de Poche, livre à lire aussi…) à un archéologue qui déterre un fossile.

    Pour ceux qui voudraient utiliser la première technique, trois livres en français s’offrent à vous :

    1) Anatomie du scénario de John Truby, nouveau monde éditions, en ce moment épuisé en format papier, mais téléchargeable sur la fnac.com au format ePub pour 18,99€

    2) Story, de Robert McKee, dixit éditions, 30€

    3) La dramaturgie d’Yves Lavandier, le clown et l’enfant, 34€

     

    L’ouvrage d’Yves Lavandier est très intéressant mais il ne traite que du cinéma, du théâtre, de la radio, de la télévision et de la bande dessinée. Donc pas du roman.

    Le livre de Robert McKee que je n’ai pas encore fini… traite aussi essentiellement du cinéma.

    Ma préférence va à l’ouvrage de John Truby car sa méthode s’applique à toute histoire, cinéma, roman,… L’essentiel des exemples est tiré du monde du cinéma mais cela ne pose aucun problème. La méthode de John Truby est presque mathématique avec ses 22 étapes :

     

     

     

    Etapes

    Personnages

    Intrigue

    Univers du récit

    Débat moral

    1

    Révélation, besoin et désir

     

     

     

    2

    Spectre

     

    Univers du récit

     

    3

    Faiblesse et besoin

     

     

     

    4

     

    Evénement déclencheur

     

     

    5

    Désir

     

     

     

    6

    Allié ou alliés

     

     

     

    7

    Adversaire

    Mystère

     

     

    8

    Faux-allié/adversaire

     

     

     

    9

    Modification du désir et des motivations

    1ère révélation et décision

     

     

    10

     

    Plan

     

     

    11

     

    Plan et principale contre-attaque de l'adversaire

     

     

    12

     

    Dynamique du récit

     

     

    13

     

     

     

    Attaque par un allié

    14

     

    Apparente défaite

     

     

    15

    Dynamique obsessionnelle, modification du désir et des motivations

    2ème révélation et décision

     

     

    16

     

    Dévoilement

     

     

    17

     

    3ème révélation et décision

     

     

    18

     

    Porte étroite, fourches Caudines et vision de la mort

     

     

    19

     

    Confrontation

     

     

    20

    Révélation

     

     

     

    21

     

     

     

    Décision morale

    22

    Nouvel équilibre

     

     

     

     

     

     

    Et sa méthode a le mérite de ne pas laisser l’auteur complètement démuni avec son histoire.

    Evidemment pour bien utiliser cette technique (voir tableau ci-contre), il faut avoir lu son livre...

     

  • Mon voyage est fini

    littérature,écriture,romanMon voyage est fini.

    Ils m’ont pris ma petite chaîne en argent avec la croix et mon chapelet. Je ne m’en sépare jamais.

    Tout s’est arrêté ici. J’avais encore un peu d’espoir hier mais à présent, c’est fini.

    Ils ne m’ont même pas laissé les lettes de Ndella. Sont-ils humains ces gens-là pour priver un père de quelques feuilles, quelques lignes de ses enfants et de sa femme. Que croient-ils ? Que je me suiciderai en avalant une lettre de travers ?

    La pièce est propre. Un béton peint en vert pâle au sol, un lit parallélépipédique d’un vert plus foncé surmonté d’un matelas beige. Sur le mur opposé, une vasque en inox au pied du même vert que le lit. Un carré de huit carreaux blanc au-dessus de la vasque avec en son centre un bouton poussoir rond en inox pour faire jaillir l’eau d’un minuscule robinet lui aussi rond.

    Dans le coin de la pièce, toujours assorti du même vert, un étroit tabouret en face d’une table toute aussi étroite et fixée solidement au mur. Sur la table, un gobelet blanc, une assiette blanche. Sur le lit, un pyjama gris, et des ouvertures bleu foncé. Il y a aussi des toilettes vertes sans abattant. Les murs sont gris et la fenêtre blanche est sinistre : une grille, six barreaux verticaux, six barreaux horizontaux, balafre la vue.

    Aucune envie de s’approcher de la vitre. Voilà, rien d’autre. Rien de saillant. Tout a été pensé pour qu’on ne puisse pas se blesser ou plutôt se suicider. On vous traite comme un criminel mais on ne voudrait surtout pas que vous trépassiez dans cette cellule aseptisée, lisse et impersonnelle avant de vous avoir enfourné dans un charter bondé. Mon crime, ne pas avoir la nationalité allemande.

    Demain matin, ils viendront me chercher, ils me l’ont dit, et menottes aux poignets, comme un colis honteux, ils me charrieront à travers les salles d’embarquement de l’aéroport de Zurich Kloten.

    Je réfléchis. Je suis trop naïf. Non, ils doivent certainement nous faire passer loin des passagers, pour  ne pas les effrayer.

    Je m’allonge à présent sur le matelas et je me roule en boule. J’entends le souffle lancinant de la ventilation et je pense aux animaux de mon pays, aux histoires et aux contes que me racontaient mes parents quand j’étais enfant. Je passe mon doigt sur le mur à peine rugueux et le paysage de mon enfance défile sous mes yeux : plaines à la terre ocre où le parfum chaud et sec du vent enivre la brousse, attise les feux et parfois les esprits, comme avec les chasseurs qui sont souvent des sans-fout-la-mort*. Je revois ma femme, mes enfants en pleurs et ma belle-famille quand je suis parti plein d’espoir à l’idée d’aller chercher du travail en Allemagne. Je n’allais pas être seul, kōko* Diouma, la doyenne pourrait m’aider. M’apprendre un peu la langue, me dépatouiller avec l’administration et me conseiller pour trouver un travail.

    Je suis lettré*, je suis allé à l’université de Bangui. Mes langues natales sont le français et le sango* mais je n’ai pas appris l’allemand. A l’université, j’ai appris l’anglais mais pas l’allemand. Je n’aurais pas du écouter kōko Diouma. J’avais peur de misérer* dans les rues sordides de Bangui et de ne plus pouvoir nourrir ma famille. J’avais peur d’être seul en Europe alors je suis parti en Allemagne. Le voyage fut éprouvant. Un long voyage qui a failli m’enlever la vie plusieurs fois.

    Arrivé là-bas, ça aurait pu marcher mais ça ne s’est pas passé comme prévu. Au début si, kōko Diouma s’occupait bien de moi mais au bout de deux mois, un matin, elle ne s’est pas levée comme d’ordinaire et je l’ai trouvé sans vie dans son lit, le visage calme, avec un sourire narquois au coin des lèvres, les yeux presque étonnés de s’être fait surprendre par la mort. Elle semblait si sereine tandis que j’étais terrifié à l’idée de me retrouver seul dans un pays que je connaissais à peine et où j’allais devoir me dépatouiller avec une langue qui m’était encore totalement étrangère. J’aurais pu me débrouiller en anglais mais dans le quartier turc où kōko Diouma logeait, peu de gens le comprennent.

    Sans kōko Diouma, en à peine un mois, je me retrouvai à la rue, sans presque rien et surtout sans papiers.

    Je suis à présent dans cette cellule morne et moderne et peut être que c’est mieux ainsi. Peut être que je n’étais pas prêt à travailler dans un pays si loin de ceux qui me sont chers, un pays si différent de mon Ködörösêse tî Bêafrîka*, qui me manque tant.

    Demain, la porte s’ouvrira ; on viendra me chercher.

    Je suis presque soulagé.

     

    sans-fout-la-mort : mot français d’Afrique signifiant casse-cou

    kōko : grand-mère en sango.

    lettré : mot français d’Afrique signifiant qui sait lire et écrire.

    misérer : mot français d’Afrique signifiant vivre dans la misère.

    sango : une des langues officielle avec le français de la République Centrafricaine.

    Ködörösêse tî Bêafrîka : République Centrafricaine en sango.

  • Le sentier longeait la falaise

     

    littérature,écriture,romanToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman (l’incipit), écrire une nouvelle.

    « Le sentier longeait la falaise. », L’arrache cœur, Boris Vian.

     

    Le sentier longeait la falaise. J’aimais marcher sur la grève à marée basse et aller le plus loin que je pouvais, là où l’écume léchait les galets et où souvent mes petites sandalettes finissaient trempées.

    Sur la côte d’Albâtre, les falaises en craie, telles des marches pour Géant narguaient l’océan, découpaient le ciel avec leur profil décharné, strié, taillé à coups de tempête, de grandes marées et de déferlantes.

    Jadis on prenait le sentier la peur au ventre, redoutant de se faire aplatir par toute la masse capricieuse qui surplombait la grève insolemment. Mais à présent, le risque n’y était plus. Nul besoin d’accélérer le pas. Inutile de lever la tête et de se faire une frayeur en apercevant un gros rocher blanc en équilibre précaire. Non, on peut à sa guise prendre son temps à l'abri des filets et s’enivrer des embruns à marée montante.

    On peut aussi s’arrêter et prendre le temps de poser son regard.

    S’asseoir sur le chemin sablonneux, ancrer tout son corps, se pelotonner dans le vent et laisser ses pensées divaguer au gré du moutonnement des vagues et de l’écume. Regarder. Fouiller de son regard toute cette immensité aux reflets vert-pâle, mouvante et à la surface obéissant à l’astre du jour. Simplement regarder. Même si c’est vain, inutile et dérisoire. Regarder. S’emplir la tête de cet océan pour mieux la vider de tous les tracas, misères et médiocrités. Remplir sa coupe de bleu azur, de blanc cotonneux, de vent écume, de gris galet pour mieux oublier ces images criardes qui défilent à longueur de journée sur nos écrans. S’emplir les poumons. S’emplir le nez. S’emplir la bouche. Fermer les yeux et écouter le ressac. S’emplir de tout. S’emplir de la vie.

    Voilà, c’est tout. Se poser et regarder.