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Des mots en forme - Page 7

  • Une femme de ménage

    medium_57564424.jpg"J'avais pris une femme de ménage. Elle était entrée dans ma vie comme ça, parce que j'avais tiré sur une petite languette, à la pharmacie. C'était la dernière des six qu'elle avait prédécoupées au bas de son annonce, scotchée sur la vitrine. Une petite languette de papier verticale, avec les huit chiffres superposés de son numéro de téléphone. Toutes les languettes qui m'eussent intéressé, sauf la sienne, sa petite dernière, donc, avaient été arrachées. Et je m'étais dit qu'il était grand temps que je m'y arrête, devant cette vitrine."

    Christian Oster, une femme de ménage

  • Une maison (fin de la nouvelle)

    medium_thumb_16_15_6_thumb.jpgEn s’approchant un peu, des chênes centenaires semblaient faire un pas de côté pour nous laisser entrevoir une mince partie de la façade. De plus loin, un rideau vert, entremêlement visuel de branches de conifères, de buissons et de feuillus, barrait la vue aux curieux et était le meilleur garant de la tranquillité des hôtes.
    De l’arrière de la bâtisse, la situation était totalement différente. La terrasse en tec surplombait un gazon digne des terrains de golf qui se dérobait rapidement sous les jambes des invités qui ne prenaient garde de la pente extrême du jardin.
    Sur le côté droit, il y avait un appentis faisant office de réserve de bois pour l’hiver.
    Plus loin, des champs de blé.
    En entrant dans la maison, on aurait pu entendre comme à l’accoutumée, les cris des enfants rebondissant comme des balles en caoutchouc sur les boiseries lasurées, résonnant dans le long corridor du bas et montant en faisant vibrer jusqu’aux portes du palier. Mais aujourd’hui tout était bien calme. Une seule chambre d’hôtes était occupée et les locataires du lieu étaient bien silencieux. On aurait pu aussi remarquer un léger effluve provenant de la cuisine, un subtil parfum à peine perceptible comme un délicieux chatouillement odoriférant nous rappelant quelque chose de notre enfance. Cette odeur exquise qui nous faisait saliver dans les moments rares où nous rentrions dans une confiserie. Il y avait cet homme ou cette femme qui enroulait d’un geste lent la pâte sucrée et colorée qui finissait par être découpée en sucettes.
    La maîtresse de maison avait en effet un petit péché mignon, celui de fabriquer et de déguster des sucettes et des berlingots aux mille parfums : ces venues traditionnelles à feu ouvert, fraise, pomme, framboise, citron, cerise, groseille, orange, cassis… Elle les essayait toutes, au grand ravissement de ses invités. Mais à cette heure de l’après-midi, nulle odeur, nul parfum ne s’échappait des casseroles en cuivre. Il n’y avait que cette pluie fine, ce crachin qui s’évertuait à glisser le long des carreaux, apportant aux lieux cette odeur si caractéristique de l’air humide.
    En poussant un peu plus loin l’exploration de la maison, on aurait pu remarquer un vase mauve renversé qui avait répandu son contenu sur la moquette de l’étage. Sans doute une bêtise de plus à mettre sur le compte de Fanny, la jeune chatte au pelage roux de la maison. Elle avait dû poursuivre un mulot et avec la sellette en merisier sur son chemin, l’accident avait été inévitable. Mise à part les roses rouges et blanches piétinées, on aurait pu aussi remarquer que les vestes et manteaux étaient restés accrochés au portemanteau du bas, près de la porte de la cave. Les hôtes n’étaient donc pas sortis car avec cette pluie froide qui vous mouille imperceptiblement mais sûrement, une veste protectrice s’imposait.
    Pour autant, un silence glacial dévorait la demeure. Pas un bruit de vie ne troublait la quiétude des lieux. Seulement le tic tac rieur du carillon du séjour.
    En cherchant un peu, un œil curieux aurait décelé une anomalie dans le corridor du rez-de-chaussée. Extérieurement, la bâtisse avait une forme simple, rectangulaire. Intérieurement, le corridor du bas n’était pas rectiligne, son allure concave dissimulait une cloison secrète.
    Après avoir poussé le mécanisme ingénieux qui dégageait la cloison, nous aurions pu nous engager dans l’escalier humide, nous faisant happer par l’obscurité inquiétante. Une ampoule poussiéreuse, plantée dans un plafond craquelé comme si on l’avait méchamment lancé du bas, ballottait sous l’effet des soubresauts du vieil escalier en bois et lançait ses ombres effrayantes en tout sens.
    Sous nos pas, l’escalier entier chanta.
    En bas, le spectacle était épouvantable.
    Des corps enchevêtrés, éparpillés dans toute la cave. Rien ne semblait bouger. Il y avait cette chair, cet amas grassouillet de jambes et de bras qui flottait sur un océan de poitrines tantôt masculines, tantôt féminines. Dans un coin obscur, des dizaines de bouteilles vides avaient été abandonnées. Sur une table rustique en chêne massif, traînés une multitude de plats où des mains grasses avaient récuré jusqu’à la dernière miette.
    En s’approchant un peu, en prenant garde d’enjamber ces corps, nous aurions pu remarquer que les poitrines de ces pauvres diables se soulevaient. Lentement mais elles se soulevaient.
    Ce n’était finalement que le triste spectacle d’une fin d’orgie, d’âmes saoules comme des cochons, cuvant silencieusement leur alcool.

  • Donner

    medium_Padre-Pio-young.jpg"Plus tu donneras de l'amour, plus tu recevras de l'amour."

    Padre Pio, Pensées et paroles. 

  • Comme un roman

    medium_images.3.jpg"Le verbe lire ne supporte pas l'impératif. Aversion qu'il partage avec quelques autres : le verbe "aimer"... le verbe "rêver"...

    On peut toujours essayer, bien sûr. Allez-y : "Aime-moi !" "Rêve !" "Lis !" "Lis ! mais lis donc, bon sang, je t'ordonne de lire !"

    - Monte dans ta chambre et lis !

    Résultat ?

    Néant.

    Il s'est endormi sur son livre."

    Daniel Pennac, comme un roman 

  • Imagination

    medium_images.2.jpg"L'imagination, ce n'est pas le mensonge."

    Daniel Pennac.  Messieurs les enfants   

  • Voyage au bout de la nuit

    medium_images.jpg"Ca a débuté comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. C'est Arthur Ganate qui m'a fait parler. Arthur, un étudiant, un carabin lui aussi, un camarade. On se rencontre donc place Clichy. C'était pour le déjeuner. il veut me parler. je l'écoute. "Restons pas dehors ! qu'il me dit. Rentrons !" Je rentre avec lui. Voilà. "Cette terrasse, qu'il commence, c'est pour les oeufs à la coque ! Viens par ici !" Alors, on remarque encore qu'il n'y avait personne dans les rues, à cause de la chaleur; pas de voitures, rien. Quand il fait très froid, non plus, il n'y a personne dans les rues; c'est lui, même que je m'en souviens, qui m'avait dit à ce propos : "Les gens de Paris ont l'air toujours d'être occupés, mais en fait, ils se promènent du matin au soir...""

    Louis-Ferdinand Céline. Voyage au bout de la nuit.

  • A méditer

    medium_CHP011.jpg"Nous avons eu l'occasion de changer le monde et avons préféré le télé-achat."
    Stephen King

  • L'écriture

    medium_PAA295000021.jpg"J'écris pour débarasser ma cervelle, pas pour encombrer celle d'autrui"

    Louis Scutenaire. 

  • ô dingos, ô châteaux (Folle à tuer). Jean-Patrick Manchette

    medium_i-distel-manchette-chronik.JPG.jpgVoici une nouvelle rubrique : les premières lignes d'un roman que j'ai particulièrement apprécié.
    Pour commencer, il s'agit d'un roman de Jean-patrick Manchette ô dingos, ô châteaux.
    Pour ceux qui ne connaissent pas Jean-patrick Manchette, voici une présentation faite par Pierre Assouline :
    "Un nom qui casse, coupe et claque. Le rêve pour un écrivain. Pas un pseudonyme pourtant. Il s’appelait vraiment comme ça. On n’est pas près de l’oublier. Mais pas seulement à cause de son nom : à cause de son œuvre. Vous avez bien lu : œuvre. Ca se dit pour un auteur de polars ? Ca se dit, n’en déplaise à ceux, plus nombreux qu’on ne le croit, qui persistent à tenir la chose pour « un sous-genre » "
    (Pierre-Assouline, sur son blog http://passouline.blog.lemonde.fr/livres/2006/05/tout_manchette_.html

     


    "Zero


    L'homme que Thompson devait tuer, un pédéraste coupable d'avoir séduit le fils d'un industriel, entra dans sa chambre. Refermant sa porte derrière lui, il eut le temps de sursauter à la vue de Thompson debout contre le mur à côté des gonds. Puis Thompson lui plongea dans le coeur une lame de scie rigide montée sur une grosse poignée cylindrique et pourvue d'une garde circulaire en tôle. Tandis que la garde empêchait les jets de sang, Thompson agita vigoureusement la poignée cylindrique et le coeur de l'homosexuel se trouva coupé en deux ou plusieurs morceaux. La victime ouvrit la bouche et eut un seul spasme. Sa croupe heurta le battant et elle tomba morte en avant. Thompson fit un pas de côté. Le cadavre lui laissa sur la main une trace de rouge à lèvres. Thompson s'essuya avec dégoût. Depuis une demi-heure, ses crampes d'estomac étaient devenues presque intolérables. Il quitta la chambre. Personne ne l'avait vu rentrer, personne ne le vit sortir..."


    Jean-patrick Manchette, ô dingos, ô châteaux

  • Humour

    medium_PAA304000049.jpg"Nous examinons toujours toutes les éventualités, même celles où nous changerions d'avis dans le cas où nous serions obligés de le faire"

    Jean-Marie Piemme

  • Une maison

    medium_16_15_6_thumb.jpg

    En s’approchant un peu, des chênes centenaires semblaient faire un pas de côté pour nous laisser entrevoir une mince partie de la façade. De plus loin, un rideau vert, entremêlement visuel de branches de conifères, de buissons et de feuillus, barrait la vue aux curieux et était le meilleur garant de la tranquillité des hôtes.
    De l’arrière de la bâtisse, la situation était totalement différente. La terrasse en tec surplombait un gazon digne des terrains de golf qui se dérobait rapidement sous les jambes des invités qui ne prenaient garde de la pente extrême du jardin.
    Sur le côté droit, il y avait un appentis faisant office de réserve de bois pour l’hiver.
    Plus loin, des champs de blé.
    En entrant dans la maison, on aurait pu entendre comme à l’accoutumée, les cris des enfants rebondissant comme des balles en caoutchouc sur les boiseries lasurées, résonnant dans le long corridor du bas et montant en faisant vibrer jusqu’aux portes du palier. Mais aujourd’hui tout était bien calme. Une seule chambre d’hôtes était occupée et les locataires du lieu étaient bien silencieux. On aurait pu aussi remarquer un léger effluve provenant de la cuisine, un subtil parfum à peine perceptible comme un délicieux chatouillement odoriférant nous rappelant quelque chose de notre enfance. Cette odeur exquise qui nous faisait saliver dans les moments rares où nous rentrions dans une confiserie. Il y avait cet homme ou cette femme qui enroulait d’un geste lent la pâte sucrée et colorée qui finissait par être découpée en sucettes.
    La maîtresse de maison avait en effet un petit péché mignon, celui de fabriquer et de déguster des sucettes et des berlingots aux mille parfums : ces venues traditionnelles à feu ouvert, fraise, pomme, framboise, citron, cerise, groseille, orange, cassis… Elle les essayait toutes, au grand ravissement de ses invités. Mais à cette heure de l’après-midi, nulle odeur, nul parfum ne s’échappait des casseroles en cuivre. Il n’y avait que cette pluie fine, ce crachin qui s’évertuait à glisser le long des carreaux, apportant aux lieux cette odeur si caractéristique de l’air humide.
    A suivre...

  • Une femme avec la main sur la bouche

    medium_PAA278000034.jpg

    Elle s’était tue. Soudainement. Non pas qu’elle n’avait plus rien à dire mais plutôt car elle avait le sentiment d’en avoir trop dit. Elle avait l’impression d’avoir dévoilé ce qu’elle ne voulait pas laisser paraître.
    Erwan s’était retourné vers elle, il avait lancé ses gros yeux bleus dans sa direction, comme deux intenses faisceaux lumineux, deux torches électriques braquant sa figure, fouillant le brouillard de sa conscience pour y dénicher ce qui lui semblait avoir compris. Elle baissa la tête, l’inclina légèrement en passant sa main dans ses cheveux blonds.
    Avait-il compris ? Elle n’osait l’imaginer. Il était encore trop tôt. Trop tôt pour lui dire la vérité.
    Pas maintenant. Pas comme ça, il ne le fallait pas.
    Elle y avait tellement pensé. Elle en avait tellement parlé avec Francis.
    Elle tendit la main et attrapa un verre puis revint s’asseoir.
    L’eau qui descendait lentement l’apaisa un peu.
    Erwan attendait, debout, les bras croisés sur son ventre rebondi comme pour mieux lui signifier qu’il n’en resterait pas là. Qu’il attendait une réponse, une explication. La pendule jaune, accrochée au-dessus du chambranle de la porte de la cuisine, égrenait ses secondes, rythmant le silence qui avait refroidi à présent toute la pièce. Avec ses deux aiguilles noires statiques et sa trotteuse tournant sans relâche, elle semblait surveiller du coin de l’œil chaque geste, chaque bouche susceptible de s’ouvrir.
    Mais rien ne se produisait.
    Marie restait muette comme figée par la peur de parler. Après lui avoir mentie pendant toutes ces années, elle éprouvait une douleur déchirante à l’idée de tout lui avouer. Elle savait que ce moment était inéluctable mais elle ne pouvait s’y résigner même si ce sentiment lui apparaissait déraisonnable et foncièrement égoïste.
    Erwan esquissa un geste comme pour préparer sa fuite :
    — Attends, lui dit-elle.
    Il s’arrêta et s’adossa de nouveau à la desserte.
    — Je te dois des explications, reprit Marie.
    Il fit une moue, approuvant ce que lui disait sa mère.
    — J’ai toujours voulu reculer l’échéance… jugeant que tu n’étais pas prêt…
    — Tu pensais que j’étais trop petit ? demanda Erwan.
    — Oui, en quelque sorte.
    — Et bien tu t’es trompé, lâcha-t-il.
    — Comment ça ?
    — Je ne serais jamais prêt à entendre ça, surtout après tous tes mensonges.
    — De quoi tu parles, s’inquiéta Marie.
    Il y eut un silence puis Erwan reprit en souriant :
    — Toutes ces conneries à propos de moi, je les ai gobées pendant un moment mais j’ai fini par comprendre…
    Erwan s’interrompit, hésitant à tout balancer à sa mère, enfin à Marie, pensa-t-il.
    — Qu’est-ce que tu as compris ? risqua-t-elle.
    — O moins, dit-il.
    — O moins, oui, c’est ton groupe sanguin et alors ? fit-elle presque agacée.
    — Et le tien et celui de papa ?
    — O moins aussi, mentit-elle, complètement désarçonnée.
    — Tous les deux un sang plutôt rare, quel hasard, maman…
    Erwan reprit en changeant de ton, la colère crevant à la surface de ses pupilles :
    — Et bien non, un mensonge de plus… j’ai fini par le découvrir… vous êtes tous les deux du groupe O positif…
    Marie s’affaissa un peu plus sur sa chaise, écrasée par la culpabilité, honteuse comme un enfant prit en faute.
    Hésitante, elle trouva tout de même la force de se lever et fit un pas en direction de son fils, prête à le prendre dans ses bras.
    —Laisse-moi, fit-il et il recula. Il recula devant sa mère.
    C’était ce qu’elle avait toujours redouté et comme dans un mauvais rêve, elle n’était pas prête à vivre ça, à voir son fils montait les marches quatre à quatre, fuyant sa mère comme une pestiférée.
    À présent, la tête lui tournait alors elle se rassit. Elle prit sa tête entre ses mains et pleura doucement, seule, bien seule dans sa cuisine.

  • Pour sourire

    Une petite citation de Michel Audiard :
    Faut-pas parler aux cons, ça les instruit...

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  • Mea culpa

    J'avoue avoir changé la règle... Cette nouvelle ne s'est pas construite au fur et à mesure, comme promis... Mea culpa, en fait en l'écrivant, c'est idiot mais je n'ai pas réussi à m'arrêter... ça sera peut-être pour la prochaine...medium_envol_v.2.jpg

  • Nouvelle en fin de chantier

    medium_F_Nor059.jpg

    Longtemps, je l’avais détesté : nous avions aimé la même femme.
    Ça n’avait pas été une compétition, un jeu d’adolescents ni même une rivalité. Non, il y avait eu Sophie et je crois bien qu’à force de traîner ensemble, une complicité s’était installée doucement, un peu comme la poussière se dépose sur les meubles : pendant quelques jours, ça n’y paraît pas, la commode semble bien propre et puis un autre jour, en allant chercher une paire de chaussettes, en ouvrant un tiroir, on remarque que de près, la poussière s’est accumulée en une couche assez fine. Elle est là, blanche et ténue comme un nuage de coton délicatement posée sur la surface cirée de la commode de grand-mère, narguant nos yeux et complexant la personne propre que nous sommes. On ne l’avait même pas remarquée. Elle semblerait presque sortie d’un chapeau.
    Avec Sophie, ç’avait été la même chose. D’insignifiantes rigolades, de banales promenades, de longs et assommants travaux pratiques et la routine du self de la fac de sciences. Pas vraiment de l’amitié plutôt une entente à l’amiable qui nous évité de nous retrouver seuls. C’était mieux ainsi.
    Mais à force de s’effleurer, de croiser ses regards de moins en moins timides, de tapoter une épaule, une douce cristallisation, lente comme une fleur qui s’ouvre et qui offre son pistil à la vue de tout le monde, s’était produite. Rien d’important au début, comme un frisson.
    Un frisson, très vite remplacé par un sentiment idiot de ne plus pouvoir la quitter, de voir toute la terre dépeuplée si elle venait à disparaître. Cela s’était immiscé, introduit comme un voleur, dans ma conscience et cela avait envahi mieux qu’un parasite toute ma vie. À chaque seconde, à chaque battement de cœur ou de cil, Sophie remplissait ma vie mieux que l’oxygène qui coulait dans mes veines. Elle était tout à la fois. Ma raison de vivre, mon espoir, la plus belle chose qui était en train de m’arriver.
    Mais il y eut l’autre. Mon double. Mon ennemi.
    Il me conseillait mal. Je n’y voyais rien, obnubilé par Sophie, aveuglé par l’amour.
    Il me disait de faire ainsi et je lui obéissais, aveugle que j’étais. À deux, nous aurions pu conquérir le monde, séduire Sophie. Bouger les montagnes, aplanir nos doutes, écraser nos peurs.
    Mais il faut bien avouer qu’il m’entraîna dans sa chute douloureuse. Il nous fallut du temps pour nous en remettre, réaliser nos erreurs, notre bêtise, notre égarement. Ce n’en fut que plus douloureux.
    Une blessure comme celle-là ne se referme jamais totalement. C’est un peu comme les stigmates des saints catholiques qui se rouvrent de temps à autre. Ça suinte régulièrement, laissant écouler un peu de regret.
    Avec le temps, la douleur s’estompe, elle s’enterre à la manière d’une bête acculée, elle se cache avec pudeur derrière la routine de la vie.
    Mais quelques fois au détour d’une ruelle, une mèche blonde apparaît et le souvenir, toujours prêt à bondir, nous laisse songeur : si seulement, j’avais…
    Mais il y a bien une petite morale de cette histoire, celle de Jean-Marie Poupart : « On passe tellement de temps à regretter ce qu’on a fait qu’il est bien inutile de se donner la peine de regretter ce qu’on n’a pas fait… »
    Alors ne nous retournons plus, l’avenir est devant et les mèches blondes, laissons-les derrière…

  • La digue

    medium_085-Soleil.jpgIl marchait. Un point dans la brume, vague et lointain.
    Il marchait. Les dents serrées, les mains vissées dans ses poches de jean. Les embruns venaient lui fouetter le visage, lui embuer ses lunettes derrière lesquelles ses pauvres yeux n’en pouvaient plus.
    C’était comme un réflexe pour se vider la tête, ne penser à rien, chasser tout, comme le vent du large qui nettoie les bronches.
    Il marchait. Sans but, droit devant lui. Il s’arrêterait quand la nature l’obligera. Seulement quand le sable l’empêchera d’aller plus loin.
    Assurément il fera demi-tour, reprendra cette digue qu’il a tant arpenté. Cette digue de Malo-les-bains où il aime se mêler aux passants, aux cyclistes et aux enfants le dimanche matin quand le soleil est de la partie.
    Pourquoi la parcourir seul, par ce temps exécrable ? Il n’y avait pas réfléchi. Il était sorti et ses jambes l’avaient entraîné ici.
    Son corps savait.
    Il lui fallait bien ça.
    Marcher.
    Se laisser bercer par la musique de l’eau et du vent.
    Ce soir, il rentrera chez lui, se glissera dans les draps auprès de son épouse. Il fermera ses lourdes paupières sur cette triste journée en essuyant d’un revers de la main cette dernière larme qui glisse le long de sa joue.
    Plus rien ne sera comme avant.
    Sa mère était morte.

  • Nouvelle en chantier

    Longtemps, je l’avais détesté : nous avions aimé la même femme.
    Nous l’avions rencontré à l’université. C’était un peu avant l’automne. Elle était là, assise à une table avec une autre fille et il avait fallu choisir un groupe pour l’année.
    Je n’avais pas hésité une seule seconde : comme un phare guidant le regard, je ne voyais plus qu’elle. Tout le reste m’était égal.

  • Nouvelle en chantier Jeudi 02 mars 2006

    L’exercice est simple : chercher au hasard une phrase plutôt courte, assez vague, sans noms propres dans des romans et trouver celle qui attire l’œil, qui donne envie d’aller plus loin. Ensuite prendre cette phrase comme point de départ pour une nouvelle qui va se construire petit à petit.

    Voici cette phrase : « Longtemps, je l’avais détesté : nous avions aimé la même femme. » de Jean d’Ormesson, Voyez comme on danse.

  • Citation de Sénèque

    medium_GS222024.jpg"Ce n'est pas parce qu'écrire est difficile que nous n'osons pas.
    C'est parce que nous n'osons pas qu'écrire est difficile".

  • Belle comparaison

    medium_124514H.jpg"Il y a dans le coin de la pièce, anéanti sur un fauteuil canné, un type malingre au regard fiévreux dont la bouille est bosselée comme un chaudron qui aurait insisté pour descendre par l'escalier les trois étages de la tour Eiffel" (San-Antonio)