Les Misérables, Victor Hugo
Quatrième partie, livre quinzième, La rue de l'homme-armé, Les excès de zèle de Gavroche :
"Pour la seconde fois, il s'arrêta net.
- Tiens, dit-il, c'est lui. Bonjour, l'ordre public.
Les étonnements de Gavroche étaient courts et dégelaient vite.
- Où vas-tu, voyou ? cria le sergent.
- Citoyen, dit Gavroche je ne vous ai pas encore appelé bourgeois. Pourquoi m'insultez-vous ?
- Où vas-tu, drôle ?
- Monsieur, reprit Gavroche, vous étiez peut-être hier un homme d'esprit, mais vous avez été destitué ce matin.
- Je te demande où tu vas, gredin ?
Gavroche répondit :
- Vous parlez gentiment. Vrai, on ne vous donnerait pas votre âge. Vous devriez vendre tous vos cheveux cent francs la pièce. Cela vous ferait cinq cent francs.
- Où vas-tu ? où vas-tu ? où vas-tu, bandit ?
Gavroche reprit :
- Voilà de vilains mots. La première fois qu'on vous donnera à téter , il faudra qu'on vous essuie mieux la bouche.
Le sergent croisa la bayonnette.
- Me diras-tu où tu vas, à la fin, misérable ?
- Mon général, dit Gavroche, je vas chercher le médecin pour mon épouse qui est en couches.
- Aux armes ! cria le sergent.
Se sauver par ce qui vous a perdu, c'est là le chef-d'oeuvre des hommes forts; Gavroche mesura d'un coup d'oeil toute la situation. C'était la charette qui l'avait compromis, c'était à la charette de le protéger.
Au moment où le sergent allait fondre sur Gavroche, la charette, devenue projectile et lancée à tour de bras, roulait sur lui avec furie, et le sergent, atteint en plein ventre, tombait à la renverse dans le ruisseau pendant que son fusil partait en l'air.
Au cri du sergent, les hommes du poste étaient sortis pêle-mêle; le coup de fusil détermina une décharge générale au hasard, après laquelle on rechargea les armes et l'on recommença.
Cette mousquetade à colin-maillard dura un bon quart d'heure, et tua quelques carreaux de vitre".
"Le roman, c'est une drogue. C'est la liberté totale. Madame de Stael disait : " les romanciers sont plus à nu dans leurs oeuvres de fiction que dans leur autobiographie." Je pense que je parle plus de moi dans mes romans que Christine Angot dans ses autofictions. Comme disait Valère Novarina : "Ce qu'il faut écrire, c'est ce qu'on ne peut pas dire." "