Dondong, Antoine Volodine (Seuil) :
"La boîte de conserve roulait sur le carrelage sale du couloir".
Toujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.
La boîte de conserve roulait sur le carrelage sale du couloir. Et avec les joints, cela faisait penser à un train sur ses rails. Une espèce de bruit continu entrecoupé régulièrement. Elle continua docilement, prudemment, en hoquetant à chaque franchissement de ciment. Mais sa trajectoire, quoique rectiligne au départ ou plutôt quasi rectiligne, s’incurva très légèrement mais irrémédiablement vers le mur et vers ce qui se trouvait près du mur.
De ma position, l’accident était inévitable. J’aurais pu courir, hurler ou trépigner ; rien n’y aurait changé. Alors je suis resté là, impassible, à le regarder, les yeux bas comme un enfant pris en faute, tressaillir sur ses petits pieds.
Il a vibré ce foutu guéridon pareil à un bateau qu’on éventre : ça craque, ça se plaint, ça se débat mais au final, ça finit par plier, vaincu. Et ça m’a presque rendu nostalgique : j’ai pensé à tous ces trésors découverts par des archéologues. J’ai pensé aux chinoises et à leurs petits pieds martyrisés. A la dynastie Ming. A la fête des mères.
J’ai pensé à une multitude de choses et tout ça se télescopait dans ma tête. Comme un puzzle qu’on aurait lancé par-dessus mon épaule et que j’aurais regardé impuissant s’étaler sur la moquette.
Tous ces petits bouts de mon existence, ces miettes de peu, ces souvenirs lointains et morcelés, c’était ma vie en morceaux. Pareil à cette porcelaine qui était venue se frotter au carrelage sale du couloir.
Maman m’en aurait voulue longtemps. Je la revois avec son vase de Chine, le tournant dans un sens puis dans l’autre pour trouver l’orientation judicieuse. Elle avait cette robe à fleurs, bleue, qui lui allait si bien. Ce devait être à la fête des mères. Enfin, je crois.
Mais de toute manière, elle n’est plus là. Plus là, pour voir son vase pulvérisé, plus là pour poser son regard aimant et réprobateur à la fois sur moi, plus là pour ramasser les morceaux.
Je crois bien qu’elle me manque.
De ma position, l’accident était inévitable. J’aurais pu courir, hurler ou trépigner ; rien n’y aurait changé. Alors je suis resté là, impassible, à le regarder, les yeux bas comme un enfant pris en faute, tressaillir sur ses petits pieds.
Il a vibré ce foutu guéridon pareil à un bateau qu’on éventre : ça craque, ça se plaint, ça se débat mais au final, ça finit par plier, vaincu. Et ça m’a presque rendu nostalgique : j’ai pensé à tous ces trésors découverts par des archéologues. J’ai pensé aux chinoises et à leurs petits pieds martyrisés. A la dynastie Ming. A la fête des mères.
J’ai pensé à une multitude de choses et tout ça se télescopait dans ma tête. Comme un puzzle qu’on aurait lancé par-dessus mon épaule et que j’aurais regardé impuissant s’étaler sur la moquette.
Tous ces petits bouts de mon existence, ces miettes de peu, ces souvenirs lointains et morcelés, c’était ma vie en morceaux. Pareil à cette porcelaine qui était venue se frotter au carrelage sale du couloir.
Maman m’en aurait voulue longtemps. Je la revois avec son vase de Chine, le tournant dans un sens puis dans l’autre pour trouver l’orientation judicieuse. Elle avait cette robe à fleurs, bleue, qui lui allait si bien. Ce devait être à la fête des mères. Enfin, je crois.
Mais de toute manière, elle n’est plus là. Plus là, pour voir son vase pulvérisé, plus là pour poser son regard aimant et réprobateur à la fois sur moi, plus là pour ramasser les morceaux.
Je crois bien qu’elle me manque.