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Les Us et les Ume

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    Un jour, au pays des Us, un grand chambardement se produisit. Jusqu’alors tout allait pour le mieux dans ce pays. Les Germanicus et les Helvétius cohabitaient sans souci, le Soleil se levait à l’heure ou presque, le vent agitait les branches des arbres, la pluie tombait des nuages, les prospectus des magasins jetés à la poubelle explosaient comme des pétards et les omnibus arrivaient toujours à destination avant d’être parti. Rien de bien extraordinaire.
    Mais un matin, un jour sans Lune, une jeune fille, prénommée Enclume, timide comme une fraise des bois, au cœur dur et à la poigne de fer, s’aventura là où elle n’aurait pas du. Elle venait du pays des Ume où les Désaccoutume et les Porte-plume cohabitaient sans souci. Elle avait franchi la ligne imaginaire séparant les deux mondes, une espèce de frontière virtuelle vaporeuse et fantasmagorique, faite des songes et des rêves des enfants.
    D’habitude le Grume et le Choléra-morbus arrêtaient les enfants trop curieux mais là, ils étaient en grève car ils en avaient assez de porter des seaux trop lourds remplis des plaintes des grincheux, des pleurs des manipulateurs, des pensées noires des boudoirs et des noirceurs des voleurs. Ils en avaient plein leur sceau et tout ça débordait, aspergeait, mouillait tant leurs pieds qu’ils devaient changer de chaussettes toutes les trente-deux secondes, montre en main. Un vrai calvaire et les chaussettes mouillées s’accumulaient, à tel point que leur fil d’étendage s’était rempli le long de toute la frontière.
    Les Us avaient accusaient les Ume et les Ume avaient accusé les Us d’avoir manigancé cette provocation. On tournait en rond, rien n’avançait et même les chaussettes mouillées ne s’avaient plus où mettre leurs pieds.
    Enclume, elle, eut une idée : après avoir pénétrée dans les pays des Us, elle pensa qu’elle pouvait bien semer la zizanie : elle essaya, au hasard, la cacophonie, la symphonie, la pyrotechnie, la tyrannie et l’insomnie. Mais au bout de trois jours, avec ce régime forcé, elle tomba de fatigue.
    Un gars du pays des Us, un peu benêt, dénommé Terminus, était arrivé au bout de son chemin. Il était grand, au nez camus, et trop souvent confus, s’excusant pour un rien.
    Il aimait regarder les nuages, les arbres et les tranches de jambon.
    Il raffolait des spaghettis, du cassoulet et des dynamos de bicyclette.
    Il collectionnait les timbres, les soldats de plomb et les crottes de sanglier.
    Quand il vit la demoiselle, il tomba par terre, amoureux, et d’accord, pour une fois, de ne plus s’excuser de tout et de rien. Comme si une pierre lui était tombée sur le caillou, chamboulant toutes les petites pièces de sa tête pour les remettre à l’endroit.
Pour commencer, il réveilla Enclume en posant ses lèvres sur son front.
    Il lui parla ensuite pendant cent huit heures, lui racontant des contes, des poèmes et des histoires à dormir assis.
    Il lui montra des nuages, des arbres et des abreuvoirs pour cochons.
    Il lui dessina des moutons, des chevaux et des pelles à tarte.
    Il lui parla de sa maison en brique, de son potager et de ses duvets en plume d’oie.
    Et quand il l’embrassa, un éclair bleu zébra le ciel, traversant la frontière, éclairant d’une lumière azurée les chaussettes de Grume et de Choléra-morbus qui chauffées séchèrent à la vitesse de la lumière. Un brouillard s’éleva, nimbant d’une étrange lumière bleue les pays des Us et des Ume. Les deux contrées furent plongées dans un silence étrange où le temps sembla figer tout : pour la première fois, et nullement la dernière, un gars des Us avait embrassé une fille des Ume.
    Longtemps les Us et les Ume se souvinrent de ce jour où un Us, Terminus, embrassa une Ume.
    Enclume, devenue légère comme une plume, rejoignit le pays de Terminus et s’installa dans sa maison, une petite habitation en brique flanquée d’un appentis où s’amoncelaient de vieilles bûches et où les carottes, les choux et les antennes de télévision poussaient dans le potager.


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