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Une femme avec la main sur la bouche

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Elle s’était tue. Soudainement. Non pas qu’elle n’avait plus rien à dire mais plutôt car elle avait le sentiment d’en avoir trop dit. Elle avait l’impression d’avoir dévoilé ce qu’elle ne voulait pas laisser paraître.
Erwan s’était retourné vers elle, il avait lancé ses gros yeux bleus dans sa direction, comme deux intenses faisceaux lumineux, deux torches électriques braquant sa figure, fouillant le brouillard de sa conscience pour y dénicher ce qui lui semblait avoir compris. Elle baissa la tête, l’inclina légèrement en passant sa main dans ses cheveux blonds.
Avait-il compris ? Elle n’osait l’imaginer. Il était encore trop tôt. Trop tôt pour lui dire la vérité.
Pas maintenant. Pas comme ça, il ne le fallait pas.
Elle y avait tellement pensé. Elle en avait tellement parlé avec Francis.
Elle tendit la main et attrapa un verre puis revint s’asseoir.
L’eau qui descendait lentement l’apaisa un peu.
Erwan attendait, debout, les bras croisés sur son ventre rebondi comme pour mieux lui signifier qu’il n’en resterait pas là. Qu’il attendait une réponse, une explication. La pendule jaune, accrochée au-dessus du chambranle de la porte de la cuisine, égrenait ses secondes, rythmant le silence qui avait refroidi à présent toute la pièce. Avec ses deux aiguilles noires statiques et sa trotteuse tournant sans relâche, elle semblait surveiller du coin de l’œil chaque geste, chaque bouche susceptible de s’ouvrir.
Mais rien ne se produisait.
Marie restait muette comme figée par la peur de parler. Après lui avoir mentie pendant toutes ces années, elle éprouvait une douleur déchirante à l’idée de tout lui avouer. Elle savait que ce moment était inéluctable mais elle ne pouvait s’y résigner même si ce sentiment lui apparaissait déraisonnable et foncièrement égoïste.
Erwan esquissa un geste comme pour préparer sa fuite :
— Attends, lui dit-elle.
Il s’arrêta et s’adossa de nouveau à la desserte.
— Je te dois des explications, reprit Marie.
Il fit une moue, approuvant ce que lui disait sa mère.
— J’ai toujours voulu reculer l’échéance… jugeant que tu n’étais pas prêt…
— Tu pensais que j’étais trop petit ? demanda Erwan.
— Oui, en quelque sorte.
— Et bien tu t’es trompé, lâcha-t-il.
— Comment ça ?
— Je ne serais jamais prêt à entendre ça, surtout après tous tes mensonges.
— De quoi tu parles, s’inquiéta Marie.
Il y eut un silence puis Erwan reprit en souriant :
— Toutes ces conneries à propos de moi, je les ai gobées pendant un moment mais j’ai fini par comprendre…
Erwan s’interrompit, hésitant à tout balancer à sa mère, enfin à Marie, pensa-t-il.
— Qu’est-ce que tu as compris ? risqua-t-elle.
— O moins, dit-il.
— O moins, oui, c’est ton groupe sanguin et alors ? fit-elle presque agacée.
— Et le tien et celui de papa ?
— O moins aussi, mentit-elle, complètement désarçonnée.
— Tous les deux un sang plutôt rare, quel hasard, maman…
Erwan reprit en changeant de ton, la colère crevant à la surface de ses pupilles :
— Et bien non, un mensonge de plus… j’ai fini par le découvrir… vous êtes tous les deux du groupe O positif…
Marie s’affaissa un peu plus sur sa chaise, écrasée par la culpabilité, honteuse comme un enfant prit en faute.
Hésitante, elle trouva tout de même la force de se lever et fit un pas en direction de son fils, prête à le prendre dans ses bras.
—Laisse-moi, fit-il et il recula. Il recula devant sa mère.
C’était ce qu’elle avait toujours redouté et comme dans un mauvais rêve, elle n’était pas prête à vivre ça, à voir son fils montait les marches quatre à quatre, fuyant sa mère comme une pestiférée.
À présent, la tête lui tournait alors elle se rassit. Elle prit sa tête entre ses mains et pleura doucement, seule, bien seule dans sa cuisine.

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