Toujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.
« L’aube surprit Angélo béat et muet mais réveillé. ». Jean Giono, Le hussard sur le toit.
L’aube surprit Angélo béat et muet mais réveillé. Il s’était enroulé dans une grossière couverture de bure, et avait passé la nuit sous un arbre chenu aux racines tracassées. Le soleil rougeâtre franchissait l’horizon et la découpait comme une ombre chinoise, finement ciselée comme par un géant aux doigts de fées. Le spectacle était saisissant et Angelo resta là, debout, sans dire un mot, observant, fouillant l’horizon de son regard, scrutant comme un nouveau-né ébloui par la lumière du jour. Le ciel était bariolé, rougeâtre et aveuglant autour de l’astre du jour, orange et jaune plus haut et encore plus haut, il avait des reflets bleu et vert. Un spectacle divin.
Quand il ne parvint plus à fixer l’horizon, ébloui, aveuglé par tant de lumière, il s’assit et rangea ses affaires dans son sac de toile. Il n’y voyait plus clair tant il avait scruté la portion du ciel où le soleil avait marqué au fer rouge de son incandescence, de reflets soufreux et sanguines, aveuglants et éblouissants. Il jeta son sac sur ses épaules et se mit en route.
Au dessus de lui, le ciel ennuagé, orangé et violet, était pareil à un immense tapis de banquise que quelque cétacé aurait traversé pour venir respirer. Et il imagina un ballet gigantesque, une chorégraphie aquatique, de ventres gris et blancs s’arrondissant et glissant sous la surface de la glace, de dos, de rorquals, de bélugas et de narvals, d’orques et de phoques, sautant, bondissant comme des diables de leur boite au-dessus de la banquise et tous ces noms résonnaient pour lui comme des trésors venant du pays des grands froids.
Il chassa de sa tête cette féérie et continua son chemin, descendant une pente abrupte et caillouteuse qui débouchait sur une vallée verdoyante et qui surplombait le plateau où il avait passé la nuit. Il marcha longtemps s’enfonçant dans des broussailles, s’écartant du chemin pour éviter de rencontrer les troupes de l’armée régulière. Sa progression était ralentie mais c’était beaucoup plus sûr pour sa personne. S’il avait été pris, il aurait été fusillé sur le champ : la mort, c’est le funèbre sort que toutes les armées du monde réservent et réservèrent à toute époque à leurs déserteurs.
Ereinté, les pieds lourds, la peau halitueuse et la bouche sèche, il fit une halte pour se reposer et boire un peu d’eau. Le ciel s’était dégagé, balayé par un vent sec d’ouest et le soleil qui commençait à être haut dans le ciel, calcinait toute la plaine comme une côtelette abandonnée sur des braises. Il s’assit, cala son dos le long du tronc d’un arbre et souffla un moment, quand il entendit soudainement une détonation assourdissante. Le ciel s’embrasa dans sa totalité, un flash lumineux incroyable comme si l’astre du jour avait brusquement occupé tout l’horizon. Angélo, aveuglé, ferma les yeux et attendit, impuissant. Il pensa à une explosion. Cela ne dura pas et la luminosité diminua. Mais un souffle dévastateur, un choc effroyable, arrivait sur lui à une vitesse prodigieuse, couchant à son passage, les arbres, les arbustes, toutes les plantes. Il fut projeté au sol. Angélo eut l’impression que ses tympans explosaient et qu’une main invisible le cuisait comme une vulgaire grillade. Les oreilles en sang, le corps brûlé, titubant, il se retourna et vit avec effroi un immense champignon noir et sale s’élever, gonfler comme un ballon de baudruche, noircir le ciel de sa funeste couleur.
Et les dernières paroles d’Angélo furent : « Il y eut un grand tremblement de terre, le soleil devint noir comme un sac de crin, la lune entière devint comme du sang, et les étoiles du ciel tombèrent sur la terre, comme les figues vertes d’un figuier secoué par un vent violent. *»
* L’apocalypse de Jean