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Bannissement

puce.jpg Le soleil commence à poindre et de ma place, je cligne des yeux pour ne pas être ébloui. Michel, qui s’est allongé un peu plus loin, se réveille aussi. Il m’engueule car il ne retrouve plus sa bouteille. Je l’entends maugréer, taper dans ses cartons et jurer comme un charretier. Je n’y prête même plus attention. D’ailleurs, tout m’indiffère.
Le ciel est clair et l’air est frais, ce matin. On doit être en octobre. Enfin, à peu de chose près. Michel, mon compagnon d’infortune, mon bon samaritain, comme je l’appelle car il m’a sauvé d’une mort certaine l’hiver dernier tandis que je m’étais assoupi sur le trottoir, un soir de nouvelle lune où il gela sévèrement, Michel n’est de pas de bonne humeur. Ses engelures aux pieds doivent le faire souffrir. Il ne veut pas m’en parler mais je suis sûr qu’il a des crevasses. Ses lésions rouge violacé et étendues n’étaient pas belles à voir la semaine dernière et ça n’a pas dû s’améliorer.
Cela fait maintenant un peu plus d’un an que je suis dans la rue. Avant j’étais ingénieur dans une grande société d’électronique mais la jeunesse sans doute, l’inconscience aussi, m’ont fait déraper : j’ai écris des informations confidentielles et malveillantes sur la nouvelle génération de puce dans mon blog. Je crois que je n’avais pas mesuré la portée de mes actes. La sanction a été sévère mais même si je ne voulais pas me l’avouer, par orgueil, je savais que cela finirait ainsi. Autodestruction peut être.
Et le surlendemain de la parution de l’article dans le blog, ils ont coupé ma puce par satellite. La puce sous cutanée RFID III pour radio frequency identification de 3ème génération, celle qui équipe tous les humains sur Terre depuis 2021, et le Verichip Act III.
Je suis à présent un banni, un apatride, un errant qui fait les poubelles, qui quémande sa nourriture car cela fait longtemps que les SDF comme on les appelait avant, ne mendient plus d’argent car la monnaie et avec elle, les billets et les pièces, a cessé d’exister en 2016. Maintenant c’est l’ère de l’argent virtuel, l’ère de l’argent des puces RFID.
Mes journées avec Michel sont toutes des répétitions d’une même et unique journée hideuse : de l’alcool, de la crasse, de la faim, du froid mordant ou de la chaleur poisseuse, de l’envie, du dégoût pour soi, du regard des autres ou plutôt de l’absence de regard et de l’humiliation et marcher, marcher pour trouver un abri, marcher pour trouver de la nourriture, marcher pour tromper l’ennui, marcher tout court, marcher toujours.
Quand le gouvernement m’a coupé ma puce, j’ai perdu en un instant mon compte en banque, mon appartement, tous mes biens, mon travail, mes droits civiques, la garde de mes enfants. Mon mariage a été instantanément dissous. Je ne peux plus me marier bien évidemment, je ne peux plus agir en justice ou reconnaître des enfants, je ne peux même plus travailler. Je ne suis plus rien. Je suis un banni. Je suis mort civilement. Je suis mort pour la société. Je n’existe plus.
Ma famille n’a rien pu faire mais à vrai dire, je ne sais pas si mon épouse était prête à aller en prison si elle s’était opposée à mon bannissement. De toute manière, elle ne l’a pas fait et je préfère ainsi.
Le seul avantage, si on peut dire, c’est qu’à présent je suis un homme libre : plus aucun et foutu satellite ne peut me suivre à la trace comme pour tous les autres citoyens mais comme dit Michel, c’est une piètre consolation.






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