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Mi-avril

jérôme.jpg Toujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

« Solange me répétait souvent, ces derniers temps, comme à peu près chaque année vers la mi-avril, qu’il allait falloir bientôt se méfier de la douceur de l’air » Jean-Pierre Martinet, Jérôme

Solange me répétait souvent, ces derniers temps, comme à peu près chaque année vers la mi-avril, qu’il allait falloir bientôt se méfier de la montée de la sève des plantes. Avec une précision de métronome, tous les jours, elle allait s’asseoir sur un petit tabouret métallique de couleur crème qu’elle disposait au ras des doubles rideaux, lissait de la main gauche sa longue chevelure brune et contemplait notre jardin de longs moments, à s’étrécir la prunelle des yeux. C’était une quasi extase. Les rondeurs des haies, les bourgeons qui poignaient, la pelouse qui prenait des couleurs, le pépiement des jeunes oiseaux qui retentissait de nouveau, tout cela la revigorait comme une bonne tasse de chocolat chaud. Son printemps, elle le devinait derrière la fenêtre, l’imaginait, le modelait comme une statue en argile. Et quand elle se l’était bien appropriée, s’étant faite à l’idée que les jours étaient à présent suffisamment longs, que le fond de l’air était suffisamment doux alors elle pouvait ouvrir la baie vitrée et faire quelques pas dans notre jardin.
Avant cette appropriation, elle était d’une nervosité exacerbée. Elle chuchotait sur son tabouret des phrases comme : « Comment pourrons-nous sortir et écraser les fragiles brins d’herbe ? », « Ne crois-tu pas que les Dujardin vont tailler leur haie, ne pourrions-nous pas en faire autant ? », « Il faudrait nettoyer la mangeoire à oiseaux, il fait maintenant suffisamment doux ». J’acquiesçais, ne voulant pas la chagriner mais je savais bien, qu’au fond, elle crevait de peur. Elle crevait de peur parce qu’un nouveau printemps frappait à notre porte, ce qui devait signifier beaucoup pour elle. Une année venait de s’écouler. Les trotteuses de sa vie n’en finissaient pas de tourner comme la terre autour de ses pôles.
Alors d’un mot gentil, d’une caresse aimable, d’un regard d’apaisement, je la rassurais et elle oubliait pour un instant ce qu’elle cherchait en scrutant à travers le double vitrage. Elle se levait, réajustait sa jupe sombre et allait s’asseoir dans le canapé, où je l’entendais souffler doucement, comme un murmure qui s’échappe. Et c’était dans ces instants précieux de mi-avril, que je réalisais que je ne pourrais pas vivre sans elle et que j’aimais à penser qu’elle ne pourrait pas vivre sans moi. Enfin, je l’espérais.

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