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La tête entre les mains sous l’escalier

IMGP2442.JPGMême si après des années, les meilleurs, nos modèles, l’ont encore, cela ne m’était d’aucun secours. Le monde s’était réduit à ces quelques mètre-carré que j’allais devoir arpenter en lâchant, ou plutôt en déglutissant, quelques paroles. J’avais quitté les autres car soutenir leur regard était maintenant au-dessus de mes forces, tel Narcisse se contemplant dans l’eau d’une source, j’avais l’impression de me voir et de voir mon angoisse à travers eux. C’était insoutenable.


Je me réfugiai donc sous les escaliers, comme un chien apeuré dans sa niche. L’obscurité quasi-totale, l’éloignement des autres, là, je me sentais un peu apaisé. Mais la boule, celle qui nouait mes viscères, ne m’avait pas quittée. Et comme tous les novices, je me demandais bien qu’elle mouche m’avait piquée pour me retrouver ici, sous un escalier, à moitié tremblant, perlant de sueur, la bouche sèche et pâteuse, la gorge irritée comme une cheminée ramonée. Non, vraiment, je l’aurais bien crié, mais ça ne se fait pas : « Mais putain, qu’est-ce que je fous là !».


Ainsi c’était dit. Mais de nouveau, cela ne m’était d’aucun secours. Mes yeux commençaient à s’habituer à la pénombre, et je pouvais à présent contempler le travail architectural de ces travailleuses de l’ombre qui aiment à croquer les moustiques, l’amoncellement des décors, costumes, accessoires, oubliés dans les recoins de ces lieux comme des épaves éparpillées sur une grève rocailleuse. Je tournais nerveusement du mieux que je pouvais dans l’exigüité de cette pièce pour tenter vainement de transformer le désarroi de mon pauvre encéphale en échauffement musculaire : mais cela eut l’effet contraire. La panique s’exacerbait.


J’arrêtai, prenant ma tête entre les mains, croyant naïvement qu’elle allait exploser comme une grenade. Et là, quand je relâchai l’emprise de mes mains sur mes oreilles, l’horreur… Des chuchotements venaient de la salle


J’aurais voulu mourir sur le champ… Oui, d’un coup. Paf ! Et plus rien. Ou être subitement sourd, ou aveugle. Que l’on me transforme en blatte ou en limace. Que le plafond se fissure et s’effondre sur ma tête, que la foudre passe à travers les prises électriques et me grille, que le vent me démembre, que le soleil me liquéfie, que l’eau me fasse gonfler comme une éponge, que les sens me quittent, que la folie me prenne. J’aurais voulu toutes les catastrophes, toutes les morts, toutes les tortures mais pas celle-là…


Je suffoquais tellement que ma respiration s’accéléra outrageusement. Et après quelques minutes, il faut bien le dire, je réalisai que c’était une bénédiction. La respiration. Comment n’y avais-je pas pensé ? Se concentrer sur sa respiration.


Evidemment ce n’était pas la panacée mais cela avait le mérite d’atténuer les effets de monsieur chamboule tout sous la boite crânienne. Et me voici, à expirer, inspirer, comme un métronome lancé sur l’allegro. Quelques minutes de ce tempo oxygéné et me voilà, tout ragaillardi.

Le rideau se leva et j’en fis de même.

Les projecteurs inondèrent la scène et je montai sur le petit escalier menant à celle-ci.


Une dernière et longue hésitation, vite chassée par un bon coup au derrière et j’étais propulsé sur scène, aveuglé, pataud, tremblant, balbutiant, suant mon texte, les pieds de plomb, la machoire comme une enclume.


Mais très vite, les mots tels de petites fées bienveillantes, me soulevèrent de leurs petites ailes dorées, m’enivrèrent de leur douce chaleur maternelle, me rendirent courage et audace, force et confiance : la magie s’opérait.

Et comme il arrive souvent au théâtre, je brûlais les planches après les avoir fuis.



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