Toujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman (l’incipit), écrire une nouvelle.
« J’ai roulé jusqu’au restaurant, je me suis garé et je suis resté un moment pour réfléchir. », La prophétie des andes, James Rodsfield.
J’ai roulé jusqu’au restaurant, je me suis garé et je suis resté un moment pour réfléchir. La pluie tombait drue sur le pare-brise, à la manière de balles de tennis qui auraient dégringolé du ciel gris métallique et qui frapperaient la carrosserie en un tintamarre exaspérant. J’hésitais à sortir. Essuie-glaces coupés, la vue était trouble : le pare-brise était noyé sous le ruissellement et je percevais à peine la devanture du restaurant devenue floue et irréelle alors qu’elle ne se trouvait qu’à quelques pas à peine.
J’attendis un peu.
Cette maudite averse allait tout de même bien s’arrêter, pensai-je en saisissant le volant de la Ford à pleines mains, croyant peut-être que ce geste dérisoire allait y changer quelque chose.
J’allumai le poste radio, on y passait no surprises de Radiohead. Mais je n’avais pas la tête à çà alors je coupai le poste. La pluie tombait toujours autant.
Qu’allais-je lui dire ? Plus j’y pensais et moins je savais. Machinalement je tripotai le bracelet de ma montre, une Tissot. Je me rappelle qu’elle me l’avait offert, il y a déjà cinq ans quand elle avait touché son premier salaire au snack qui faisait le coin de la 170ème et de la 172ème rue dans le Bronx. C’était un italien, Giovanni Castaglio, ou quelque chose comme çà, je ne suis plus sûr de son nom… avec un ventre énorme qui tenait le restaurant. Ces pizzas étaient délicieuses mais ce Giovanni n’était pas très net comme gars. Un jour, il y a eu une descente de flics et ensuite on ne l’a plus jamais revu. Il devait certainement trempé avec la mafia locale. Il ne m’étonnerait pas que sous couvert de sa pizzeria, il blanchissait un peu d’argent provenant de la vente du crack ou du shit.
Je relevai la tête. La pluie ne s’était pas arrêtée et je crois même qu’elle tombait plus fort sur le pavillon de ma Ford Mustang coupé. Je craignis un instant que de la grêle finisse par tomber mais ils n’avaient pas annoncé à la météo d’orage sur New York pour aujourd’hui et à cette dernière pensée, je fus rasséréné.
J’enlevai la clef du contact et me décidai à sortir.
Je fonçai vers le restaurant et m’engouffrai à l’intérieur.
Je fis quelques pas, tournant la tête pour apercevoir Heather qui était de service. L’air était presque glacial. La climatisation devait tourner à fond.
Je passai devant le comptoir et saluai Sadie d’un signe de la main : elle rendait la monnaie à un type obèse dont le plateau rempli de burgers, de frites et de coca aurait pu nourrir une famille entière.
Je continuai me dirigeant vers la cuisine, passant devant une famille latinos qui venait de s’attabler et dont un des quatre enfants brandissait avec frénésie une surprise en plastique jaune fabriquée en Chine qui ne lui convenait guère car il beuglait son mécontentement avec tant de furie que quiconque autour aurait envie de lui arracher la tête pour le faire taire comme on aurait pu aisément le faire à sa figurine jaune merdique.
Haussant les épaules, je remarquais une table un peu plus loin et je m’assis dos au mur, la porte battante de service menant à la cuisine à ma gauche.
Une serveuse sortit de la cuisine avec des bières Budweiser sur un plateau. Je ne la connaissais pas. Encore une de ces étudiantes écervelées de première année qui croit pouvoir concilier petit ami, études universitaires et un job comme celui-ci. Elle s’arrêta net à ma hauteur et me regarda la tête un peu de travers, les doigts vissés sur son stylo, ses dents blanches mâchouillant avec nonchalance du chewing-gum et un décolleté pareil à ceux de Rita Hayworth. Et avant qu’elle n’ouvre la bouche, un méchant préjugé me trottait déjà dans la tête. Elle continua de me fixer de la même manière s’attendant sûrement à une réaction de ma part et plus je l’observais, plus j’avais la vilaine impression qu’elle me considérait avec autant d’égard que si j’avais été une mouche à merde engluée sur du papier tue mouche. Elle ne leva ensuite plus le nez de son calepin et prit ma commande sans me regarder puis elle tourna les talons et décampa sans aucune forme de politesse.
Je l’arrêtai tout de même alors qu’elle se trouvait à hauteur du grand aquarium, à plus de dix mètres de ma table, là où il y avait souvent un attroupement de gosses dont certains pour mieux apercevoir des poissons clown n’hésitaient pas à s’aplatir le nez et dont d’autres aimaient étaler leur bave sur la surface vitrée, dessinant des arabesques blanchâtres sur la paroi de l’aquarium.
Je lui dis qui j’étais et lui demandai d’aller chercher Heather. Elle parut à peine étonnée et partit vers les cuisines.
Quelques minutes plus tard, Heather arrivait, un sourire aux lèvres. Elle était heureuse de me voir, cela ne faisait pas de doute et il me fallut beaucoup de courage pour ne pas lui mentir. Mon passage à l’improviste lui avait peut être fait croire que je l’allais lui annoncer une bonne nouvelle ou que je lui amenai un petit cadeau surprise ou je ne sais quelle idiotie capable de germer dans le cerveau d’une femme.
Heather héla Sadie qu’elle prenait sa pause.
Je la laissai parler. Je retenais à peine ce qu’elle me disait. J’étais bien trop concentré sur ce que j’allais lui dire. Au bout de plusieurs minutes, je n'avais pas encore touché à mon café qui devait être à présent froid, exaspéré par ma propre lâcheté, je lui coupai sèchement la parole.
Elle me regarda avec ses grands yeux qui se voilèrent un instant de tristesse, enroula une mèche de cheveux derrière son oreille et nous nous regardâmes longuement et intensément, comme jamais nous nous étions regardés.
Un instant plus tôt, j’allais lui dire que je la quittais et là, sans aucune explication, je la retrouvai. Je retrouvai la Heather que j’avais aimée et que j’aimais toujours.
Je lui pris les mains, déposai un léger baiser sur ses lèvres et lui dit que je l’aimais et aussi brusquement je me relevai, ce qui la surpris.
Elle sourit. Elle était si radieuse que n’importe quel homme dans le snack, rien qu’en la regardant aurait pu tomber sous le charme.
Je la regardai une dernière fois avant de lui dire à ce soir et je sus, aussi sûrement que la pluie allait s’arrêter que j’épouserai Heather dans les mois qui viendront.
Commentaires
Jolie histoire d'amour,qui doit faire rêver beaucoup de jeunes
filles . Elle est racontée avec de la tendresse et d'émotion .
A nôtre époque , les déclarations d'amour ne se passe plus
avec autant de sentiment .filles et garçons sont très direct .
Aimer à perdre la raison , aimer à ne savoir quoi dire ( comme
chanter nôtre regretté Jean ferra ) cela dure une vie .
J'aime cette belle histoire d'amour .