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Stéphane ouvrit la porte le plus doucement qu'il put

littérature,écriture,romanToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman (l’incipit), écrire une nouvelle.

« Stéphane ouvrit la porte le plus doucement qu’il put. », Forêt interdite, Mircea Eliade.

Stéphane ouvrit la porte le plus doucement qu’il put. Mais cela ne suffit pas. La charnière de la porte grinça et Hélène se retourna dans le lit. Nous étions dimanche, lendemain des errances nocturnes de Stéphane et une chaussette perdue ou un caleçon égaré dans notre chambre était sans doute la raison de son entrée titubante. Il fourragea alors discrètement dans un tas de linge sale, sembla hésiter, partit puis revint et enfin quitta la pièce en me laissant perplexe.

Ça ne lui ressemblait guère. Des rais de lumière jouaient avec quelques poussières de l’air que je suivais des yeux un cours instant. Qu’est-ce qu’il cherchait donc ? pensai-je. Je déposai un baiser sur la nuque d’Hélène et m’assis sur le rebord du lit pour enfiler un caleçon. Elle dormait encore.

J’enfilai mes chaussons et quittai la chambre précautionneusement.

Je trouvai Stéphane dans la cuisine, pas rasé, ses longs cheveux bruns en bourrasque, une mine à filer le bourdon à un car entier de joyeux fêtards, les yeux noyés dans son café noir qui fumait encore. Je m’assis en face de lui, m’efforçant de soulever les pieds de la chaise pour ne pas que cela grince. Sans lever les yeux, il poussa dans ma direction la verseuse et je lui lançai comme l’accoutumée, c’était un peu notre rituel du dimanche :

—    Trop bu ?

En principe, cette première tirade était le signal pour qu’il puisse me conter ses exploits Donjuanesques, ses beuveries interminables et ses amours du petit matin tandis que je trempais religieusement mes tartines beurrées dans le café. A la place de çà, il me répondit :

—    Sans doute…

Je levai un sourcil interrogateur à l’affût d’une explication de Stéphane qui ne vint pas.

Son mutisme me renseignait davantage qu’un long discours. Et il continuait de fixer son café comme s’il eût pu lui révéler une information des plus précieuses.

Je réfléchis un instant puis poussa mon bol sur le côté pour lui signifier que ce que j’allais lui dire était plus important que mon café du matin.

—    Stéphane, lui dis-je.

Penaud, il releva à peine la tête.

—    Stéphane, insistai-je.

—    Oui, répondit-il à voix basse.

—    Je n’ai pas envie de tourner autour du pot. Je suis à peine réveiller et je me doute bien que tu n’as pas farfouillé dans ma chambre par hasard. Alors je t’écoute.

Il souffla et baissa de nouveau sa tête ébouriffée.

—    Que c’est-il passé cette nuit ? repris-je.

À ces mots, il se redressa nerveusement et se ramollit aussitôt.

Il resta alors silencieux et cela me parut interminable. Mais je coirs que je pressentais qu’il allait tout me raconter et sans prévenir, les mots sortirent de sa bouche comme des rafales d’arme automatique, un flot continue entrecoupé de quelques respirations nerveuses. Au début, cela ressemblait à toutes ses sorties arrosées qui se concluaient en général en un rapprochement endiablé des corps sur n’importe quelle couche qui put faire l’affaire.

Mais ensuite cela parut confus. Stéphane fut pris de sanglots et je ne comprenais pas tout. Tout parut plus clair quand je reliais les bribes de phrases : viol… elle m’accuse…elle va porter plainte…

Je compris qu’il était sérieusement dans le pétrin.

Je lui dis alors :

—    Je n’ai pas besoin de te demander si tu l’as…

Il releva la tête et me répondit :

—    Tu ne me crois pas capable de faire de telles choses, j’espère ?

—    Non, repris-je, mais je voulais te l’entendre dire, continuai-je.

—    Si c’est ainsi… non, je ne l’ai pas violé… voilà, c’est dit.

De nouveau un long silence. Il me regarda, surement étonné par ce que je venais de lui dire, et releva les sourcils tout en faisant une moue un peut triste ; j’espère que je ne l’avais pas blessé.

Je me levai, posai ma main sur son épaule et ajoutai :

—    Stéphane ? Je serai toujours là pour toi. Tu peux compter sur moi et sur Hélène. On va chercher un avocat qui va te tirer d’affaire.

Des mois ont passé.

J’entre à présent dans la pièce sale et un peu sombre. Stéphane est devant moi. Je ne vois que lui. Je le salue. J’ose à peine lui parler tant il a à me dire. J’observe son visage, émacié et fatigué. Il paraitrait presque serein si je ne le connaissais pas. Je me plonge dans ses yeux, si noirs, si sombres, si tristes à présent : des larmes me viennent presque car je repense à ce que je lui avais dit, à ces mots qui résonnent dans ma tête, qui viennent frapper mon crâne comme de petites balles rebondissantes avec lesquelles aiment jouer les enfants. « L’avocat va te tirer d’affaire », « tirer d’affaire »… Je ne sais plus quoi lui dire. C’est lui qui me remonte le moral, lui qui me dit de tenir le coup. Lui qui sourit.

Je rentre chez moi, anéanti. C’est ubuesque. À chaque fois que je vais lui rendre visite au parloir, çà se passe ainsi.

J’ai presque envie de ne plus lui rendre visite.

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