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  • Je ne me souviens pas d'avoir entendu de déflagration.

    shinkuju-commute-harvey_1395_600x450.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

    « Je ne me souviens pas d’avoir entendu de déflagration. », L’attentat, Yasmina Khadra.

     

    Je ne me souviens pas d’avoir entendu de déflagration. Une minute auparavant, je m’étais assis sur la banquette en plastique vert. La rame s’était ébranlée et déjà j’étais furieux à mon égard, frustré d’avoir oublié le roman que je lisais alors, toujours pressé de quitter la chambre d’étudiant que j’occupais au dernier étage d’une vieille et haute maison dans le quartier de Wazemmes.

    Ce soir-là, comme à l’accoutumée, j’allais diner au restaurant universitaire, passant dans la rue Charles Debierre, longeant l’église Saint-Sauveur. Souvent, l’hiver, près de la crèche, de pauvres gens s’abritaient sous un minuscule porche, se calaient le dos sur la porte et s’enroulaient, s’emmitouflaient, se couvraient et disparaissaient presque sous l’amoncellement crasseux de cartons, de journaux, de vieux tissus et de couvertures élimées. Quelque que soit la température, ils étaient là, à deux pas de l’église et même si je passais en toute hâte, forçant le pas, je les savais là, je les sentais  à ma gauche quand j’arrivais à hauteur de la porte d’entrée de la crèche. C’était devenu comme une habitude de les savoir à cet endroit mais une habitude à laquelle je ne pouvais m’habituer. Je me sentais impuissant et révolté qu’ils passent la nuit là et qu’ils ne puissent dormir sous un toit, dans une église.

    Ma main fourragea dans mes poches mais le livre n’y était pas. Une respiration plus appuyée, mes mains qui se serrent fort. J’allais devoir laisser trainer mes yeux tout autour. Je n’aimais pas ça. C’était justement pour ne pas avoir à faire ça que j’emmenais toujours un livre sur moi, pour me donner de la contenance et m’oublier dans la lecture.

    Elle enroula alors un doigt dans une mèche de cheveux blonds. Je le regardai furtivement. Des yeux clairs, vert je crois. Je n’avais pas la force d’appuyer mon regard. Une petite bouche surmontée d’un nez retroussé. Elle n’était pas vraiment belle, mais elle avait beaucoup de charme. Elle me fit penser tout de suite à Sonia. Elle ne lui ressemblait qu’un peu mais elle me fit penser à elle. D’une certaine manière, ce n’était pas très étonnant puisque je pensais à elle tout le temps. Je n’arrivais pas à la chasser de ma tête. Partout, en ville par exemple, quand je trainais, je croyais l’apercevoir. Mais j’étais constamment déçu, il me fallait attendre le soir en espérant qu’elle soit là avec ses amis pour la voir. Quelque fois je me postais en bas de son immeuble et j’attendais là, comme un idiot, espérant la voir ou je ne sais quoi d’autre qui n’arrivait évidemment jamais. Je me comportais constamment ainsi, comme si j’ étais un véritable demeuré, ignorant tout de ce que pouvait attendre, espérer et désirer une jeune femme.

    A présent, elle fouilla dans son sac et il me sembla qu’elle y cherchait un miroir. Je fus comme triste. C’était idiot. Je m’imaginai sans doute qu’elle pouvait tomber amoureuse de moi ou quelque chose comme çà. Pourtant c’était Sonia qui m’importait alors pourquoi fantasmer sur un inconnue que je ne reverrais jamais plus, je ne me l’expliquais pas. Une certaine bêtise. Ou une naïveté sans intérêt.

    Elle referma son sac et nos regards se croisèrent. Cela me parut très long mais je n’eus pas le temps de rougir, la rame se disloqua.

    Il y eut la poussière, le verre brisé, les gémissements et cette fumée âcre qui avait empli tout le tunnel à présent dans le noir à peine éclairé par les lampes de secours.

    Je reprenais connaissance et ma première pensée fut pour elle. Je la cherchai. Je fis quelques pas, titubant, écrasant le verre sous mes pas dans un silence inquiétant. Elle était étendue plus loin et à sa posture, je sus qu’elle était morte.

    Je ne la connaissais pas mais ce fut comme si tout c’était figé. Comme si un poids énorme s’était déposé sur mes épaules et qui m’obligeait à ployer, à m’asseoir, à m’affaler à ses côtés, les  oreilles sanguinolentes.

    J’étais là et pourtant je n’étais plus là, ou plutôt je ne voulais plus être là mais pour autant, je ne savais pas où je voulais être. Je ne savais plus rien. Je ne voulais plus rien. Je voulais que tout cela s’arrête.

    Il y avait d’un côté mon corps, couvert de plaies, ce qui d’ailleurs ne m’inquiétait pas plus que cela et d’un autre côté, mon esprit qui s’enfuyait, apeuré et qui se serait faufilé par un trou de souris pour se réfugier n’importe où, là où il n’y aurait rien, pourvu que cela soit possible.

    Les secours arrivèrent et ils me trouvèrent blotti contre elle.

    Plus tard, ils en déduisirent que nous avions vécu ensemble.

    Je ne démentis pas. Cela aurait servi à quoi d’ailleurs ? Et puis cela donna presque un sens à ce qui n’en avait pas.

  • Je cherchais un endroit tranquille où mourir.

    brooklyn-follies_.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

    « Je cherchais un endroit tranquille où mourir », Brooklyn Folles, Paul Auster.

     

    Je cherchais un endroit tranquille où mourir.

    Paris m'exaspérait. La Baule et sa plage interminable biffée d'un trait grossier de résidences trop chics m'indifférait. J'avais bien pensé à une station balnéaire plus au nord, mais je ne connaissais que Le Touquet Paris plage. Et le Touquet, c'était un peu la Baule. Alors j'étais dans l'embarras et je ne voyais vraiment pas où m'installer.

    L'hiver passa et tout m'était devenu insipide. Même faire ma promenade quotidienne avec ma décapotable favorite, le crâne au vent, la tête fière et le pied lourd sur l'accélérateur de la belle italienne, à la recherche de regards féminins complices, ne m'apportait plus aucun plaisir. Toutes mes activités d'avant comme le Rotary Club, le bridge, le golf, le tennis et l'automobile club Ferrari qui auparavant avaient été source de joie et de fierté, m'étaient devenus étrangères. Je n'avais plus aucun goût à côtoyer tous ces lieux et surtout toutes ces personnes qui y trainaient, dont une grande majorité s'ennuyaient à mourir dans la vie et passaient là, toutes snobes qu'elles étaient, comme des fantômes dans une galerie des glaces. Trop occupées à regarder le piercing attaché au petit nombril, lui-même au centre du petit ventre de leur petite personne, elles ne cherchaient dans votre regard que le leur, toujours inquiets et rassérénés d'y percevoir leur importance.

    Au Rotary Club, dans un des salons non fumeurs, lors d'une de ces journées de printemps qui n'en finissait pas, je me délectais de la possibilité d'enfumer les membres du club d'un coûteux Havane sans que quiconque n'ose me faire le moindre reproche. Les volutes grises montaient de mon cigare et emplissaient la salle, provoquant sur leur passage quelques clignements d'yeux et petits toussotements mais pas de réaction. J'allais partir, un peu déçu du peu d'entrain à me rabrouer des membres du club quand je rencontrai une vague connaissance de ma défunte épouse, un dénommé Jean, notaire. Il était au courant de ma situation et même si je ne le connaissais que vaguement, je fus étonné par sa compassion et sa volonté de m'aider. Un peu décontenancé par son empathie, je finis par accepter de le revoir afin qu'il cerne un peu mieux ce que je désirais comme demeure.

    Je ne sus jamais qu'elles avaient été les rapports noués avec ma femme mais Jean fut néanmoins d'une grande courtoisie avec moi et il me dénicha la maison que j'avais toujours rêvée. C'était un peu tard, compte tenu des échéances de ma triste vie, mais je lui en fus infiniment reconnaissant.

    Trois mois après j'emménageai dans ma nouvelle demeure avec mon basset Copernic. L'affaire avait été vite conclue, les héritiers ne voulaient pas de la maison, ils préféraient de loin un bon chèque de banque à encaisser. Je ne leur en tins pas rigueur, la villa juchée sur un petit promontoire, non loin du golf de Saint Briac sur mer, fouettée par les embruns, était un petit paradis entre ciel, terre et mer. Côté océan, il n'y avait pas de ces escaliers qui frayent à pic au milieu des rochers, pour déboucher plusieurs dizaines de marches plus bas sur la grève sablonneuse. Nullement à craindre du côté des touristes en été : les plus téméraires auront bien du mal à gravir la petite falaise rocheuse en surplomb de l'océan. De l'autre côté, un petit grillage ceinturait toute la propriété de deux hectares environ, de quoi dissuader les curieux d'y entrer.

    Voilà mon petit coin de paradis. Ma dernière demeure. Mon dernier bateau amarré entre ciel et eau, prêt pour une ultime escale. C'était parfait, il n'y avait plus qu'à attendre.

    Au début, le calme et la tranquillité furent salutaires. Copernic gambadait la gueule haute, avec un port presque aristocratique, à travers tout le domaine, narguant l'écume de l'océan avec sa bave dégoulinante qui y tombait en petits paquets blanchâtres, visqueux et répugnants. Il arrosait copieusement de son pipi acide tout ce qui trainait et qui ne dépassait pas un pied de haut, certainement dans un souci de marquer son nouveau territoire et il réussit en quelques jours à faire crever les rares plantes qui poussaient dans la mince couche de sable qui affleurée de la roche et qui subissaient les assauts du vent : résultat, plus d'oyats autour de la maison. Quant à moi, j'avais pris possession d'un transat en bois verni à la toile bien accueillante et y passait le plus clair de mon temps en compagnie d'un verre de cognac ou de pastis suivant mon humeur, avec toujours à portée de main ma boite de cigares, mon journal et un bon roman. Je n'avais donc rien à faire, pas même surveiller Copernic qui de part sa petite taille ne pouvait aller guère loin. De temps à autre, je me levais et faisais quelques pas autour de la villa, histoire de me dégourdir les jambes et de m'aérer les poumons. Copernic avait calqué ses habitudes sur les miennes : il avait vite cessé d'arroser à tout va, préférant se vautrer dans ce qui restait de verdure et ronfler bruyamment. Un pipi, un étron par ci, par là, et avec la sempertinelle gamelle à manger, c'était tout ce qu'il pratiquait. Il s'encroutait tel son maitre.

    Voilà où nous en étions quand nous le vîmes moi et Copernic, par une belle matinée ensoleillée. Tôt le matin, un épais brouillard pesant et poisseux avait bravé avec ténacité des rais de lumière qui perçaient par endroits et ce n'est que vers les dix heures que le soleil s'imposa, aidé par une légère brise qui balaya tout promptement. Ensuite ce fut radieux. Je m'étais mis en tenue d'été et armé d'un bon pavé, j'étais prêt à affronter sur mon transat l'ennui, l'oisiveté et les pets de Copernic qui s'égrenaient lentement. Je pensais ainsi à la nourriture trop riche de mon chien quand je le vis.

    Il était tout petit et me fit penser à un petit poussin tant il paraissait fragile, avec sa grosse tête mouchetée de tâches de rousseur. Il me fixa de loin de ses yeux émerillonnés couleur émeraude. Copernic paraissait aussi fasciné que moi : il avait délaissé sa couche végétale et humait l'air de sa grosse truffe noire en direction du bambin. Je fis un pas en avant mais il ne bougea pas. Il continuait de m'observer. Ne sachant trop quoi faire, je le saluai. Il me répondit du bout des lèvres.

    Je m'approchai et remarquai quelques gouttes de sueur qui perlaient à son front.

    L'ascension de la falaise, que je n'arrivai pas à m'imaginer pour un petit bout de la sorte, avait du l'éreinter et je lui proposai donc une boisson fraîche me rappelant qu'une bouteille de sirop à la menthe grelottait dans le réfrigérateur.

    Il acquiesça d'un léger hochement de tête.

    Et je me rassis tout en gardant un œil sur lui. Il but le verre d'un trait alors je lui en proposai un second : il me remercia de son sourire et je ne le revis pas pendant plusieurs jours.

    Ensuite il vint presque tous les jours. Il ne parlait pas beaucoup mais nous nous comprenions aisément. Quand il faisait une petite moue désapprobatrice, il me rappelait mon neveu au même âge et je n'avais pas besoin de trop me creuser la tête pour comprendre qu'il n'était pas de mon avis. D'autres fois, nous nous promenions silencieusement autour de la propriété, moi les mains dans le dos à la manière des vieux instituteurs, lui toujours devant moi, avec son pas aiguisé et bondissant plein de fougue et de jeunesse.

    Jamais je ne lui demandai pourquoi il venait me voir régulièrement. Je ne lui posai aucune question trop intime et lui faisait de même, c'était comme une complicité, une entente cordiale qui s'était installée entre nous et nous partagions tous les jours des instants précieux, quelques routines comme un vieux couple, et une joie de partager sans rien attendre en retour.

    Un beau jour, p’tit Marcel comme j'aimais l'appeler, ne revint plus. Je ne sus jamais pourquoi. Je m'imaginai que timide comme il était, il n'osa pas me prévenir de son départ, d'un hypothétique déménagement.

    Pendant les quelques semaines où il vint me voir régulièrement, il m'avait rappelé une chose essentielle que l'argent, la bêtise et la routine de nos vies trop remplies de superflu m'avaient fait oubliées : le partage, le don sans attente de quoi que ce soit est la plus merveilleuse des choses. Il m'avait fait un magnifique cadeau et je lui en étais infiniment reconnaissant.

    Je sus ensuite que j'étais prêt. Pour une dernière escale.