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  • J'ai décidé d'adopter Margueritte

    la-tete-en-friche.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase (ou ici des trois premières) d'un roman, écrire une nouvelle.

    « J’ai décidé d’adopter Margueritte. Elle va bientôt fêter ses quatre-vingt-six ans, il valait mieux pas trop attendre. Les vieux ont tendance à mourir. », Marie-Sabine Roger, La tête en friche.

     

    J’ai décidé d’adopter Margueritte. Elle va bientôt fêter ses quatre-vingt-six ans, il valait mieux pas trop attendre. Les vieux ont tendance à mourir.

    Enfin c’est ce que disait mon papy : « Tu sais p’tit Jean », il faut dire que je m’appelle Jean, « les vieux ont une fâcheuse tendance à mourir », ou quelque chose comme ça, je me souviens plus. Et comme pour se justifier car il aimait bien le concret mon papy, un matin d’hiver tout gris où il pleuvait comme vache qui pisse, il a préféré ne plus sortir  de son lit. C’est la dernière fois que je l’ai vu. Après ils l’ont mis dans une grande boite en bois verni. Je trouvais cela ridicule qu’on mette les gens dans une boite fermée, sans qu’on puisse voir à l’intérieur. Mon papy n’allait tout de même pas s’échapper.

    Sur le journal, mes parents avaient indiqué « mort d’une longue maladie ». J’avais cherché dans le dictionnaire toutes les maladies les plus longues comme la broncho-pneumopathie, ou la polyarthrite rhumatoïde, et j’avais écarté d’emblée la carie, la peste ou la lèpre mais peut être que je n’avais pas bien compris.

    Ma mamie, je ne l’avais jamais connu. Alors après le départ de papy au cimetière, il y a eut comme un grand vide dans ma vie. C’était plus comme avant. Mes parents allaient déposer des fleurs sur sa tombe régulièrement mais je savais bien qu’il était au ciel. Alors pourquoi toute cette comédie ? Il devait se marrer à nous voir en bas en train de parler à du marbre et déposer des géraniums devant une plaque portant son nom.

    Et puis il y a eut Margueritte. Des yeux vifs et bleus comme la carrosserie de l’une de mes voitures Majorette, celle du shérif. La peau du visage fripée comme le soufflet de l’accordéon à tonton Roger mais un beau sourire. Un sourire contagieux. Un de ces sourires qui donne envie d’être gentil avec elle. Margueritte, on a tout de suite envie de lui faire un gros câlin. Mais au début, j’osais pas. C’était bête. Mais j’osais pas. Mais avec le temps et comme mes parents s’étaient fait à l’idée de la laisser dans un coin du salon, près de la télé, pour qu’elle entende mieux, j’ai appris à la connaître. Elle avait pas tellement de famille et souvent elle restait là, à faire ses mots croisés, à lire ou à regarder l’écran.

    Au bout de quelques jours, quand on s’était apprivoisé à force de se regarder de coin, pour voir si l’autre regardait aussi, elle a commencé à me parler un peu. Au début, c’était quelques mots et puis après, d’un coup on sentit qu’elle avait plein de choses à dire, car ça sortit de sa bouche comme un robinet qui coule et qu’on peut plus arrêter : elle me parla de ses fleurs, de son fils, de sa vieille Quatre Ailes qu’elle avait vendue (je ne lui fit pas remarqué que toutes les voitures ont quatre ailes sauf peut être les accidentées), son ancien travail à l’usine, son ex-potager, son ex-mari (il était parti les pieds devant ?), et blablabla et blablabla… Tout s’emmêla dans ma tête et j’en avais le tournis à l’écouter mais à voir son beau sourire, je crois qu’elle avait était heureuse de me raconter tout ça, j’en avais pas compris la moitié mais je lui souris, content de lui avoir changé les idées.

    Ensuite les vacances arrivèrent. Je lui tenais compagnie et elle me racontait des histoires. Elle s’asseyait dans son fauteuil déglingué que papa avait récupéré, la deuxième vie des encombrants, disait-il et moi, j’allais chercher une chaise en paille de la cuisine pour me placer juste à côté d’elle. Je crois bien qu’elle partait d’une phrase et qu’après la suite lui venait comme çà, sans vraiment y réfléchir car souvent l’histoire était plutôt bancale, un peu comme son fauteuil d’ailleurs. Ce qui me plaisait, c’était de l’écouter. A d’autres moments, quand mes parents étaient au travail car il fallait que ça reste entre nous, elle me lisait des livres de grands. Je me rappelle d’une des premières phrases d’un des livres, ça m’avait marqué : « La première chose que je peux vous dire c’est qu’on habitait au sixième à pied et que Madame Rosa, avec tous ses kilos qu’elle portait sur elle et seulement deux jambes, c’était une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines ». Margueritte m’avait expliqué, car il faut dire qu’elle aimait vraiment les livres, les livres c’était un peu ses enfants et j’avais remarqué que ses yeux étaient souvent tristes quand elle pouvait pas lire, donc elle m’avait expliqué que celui qui avait écrit le livre, la vie devant soi, s’appelait Emile Ajar mais qu’en fait son vrai nom, c’était Romain Gary, j’avais pas bien compris, une histoire de prix littéraire, et qu’il pouvait pas l’avoir deux fois. J’avais pensé alors que chercher des poux à quelqu’un sous prétexte qu’il avait écrit deux bons romans était bien un truc de grands.

    Momo, le petit du livre, était devenu mon ami. Je lui parlais. Je lui parlais quand j’étais seul sinon les grands m’auraient regardé avec leurs gros yeux soupçonneux car d’ordinaire, je ne parlais jamais.

    Mes parents aimaient raconter partout que j’avais parlé à six ans. Et à chaque fois, ça ne loupait pas, les autres faisaient leur bouille d’étonné à décrocher un « Ho ! » avec une bouche comme un cerceau de fille. Tout ça m’exaspérait et j’avais décidé, croix de bois, croix de fer, que les mots ne sortiraient plus de ma bouche. Tout le monde s’y était habitué, même mes parents et pour le voisins, j’étais idiot et quasi muet.

    Mais avec Margueritte, c’était maintenant différent. Et c’est pour çà que j’avais décidé de l’adopter  car elle ne me demandait jamais rien, elle n’exigeait rien, n’attendait rien en retour. Elle donnait, c’est tout.

    Pour fêter çà, en douce, on avait pris le café. Je n’avais pas aimé mais je m’étais rattrapé avec les biscuits Breton. Un vrai régal. Je me souviens encore de la joie de Margueritte et des petites miettes jaunes qui flottaient dans ma grande tasse ébréchée en porcelaine. Je trempais mes lèvres et Margueritte riait doucement en me voyant grimacer. Quelques jours plus tard Margueritte rejoignait papy. Mon adoption n’avait vraiment pas duré longtemps.

    Je ne parlais plus du tout, à part à Momo en cachette et c’est un peu lui qui me sauva de toutes ces idées grises et tristes qui se baladaient dans ma tête. Même la télé était silencieuse et dans le coin du salon, il  y avait des marques dans la moquette qui me rendaient vraiment triste. Je n’osais plus passer là et je préférais rester dans ma chambre avec les livres que je ramenais de la bibliothèque où je m’étais fait une carte toute neuve car désormais je lisais. Ça me vidait la tête et m’empêcher de trop penser à Margueritte. C’était tout ce qui me restait d’elle : Momo et l’amour des livres.