Toujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.
« Je ne me souviens pas d’avoir entendu de déflagration. », L’attentat, Yasmina Khadra.
Je ne me souviens pas d’avoir entendu de déflagration. Une minute auparavant, je m’étais assis sur la banquette en plastique vert. La rame s’était ébranlée et déjà j’étais furieux à mon égard, frustré d’avoir oublié le roman que je lisais alors, toujours pressé de quitter la chambre d’étudiant que j’occupais au dernier étage d’une vieille et haute maison dans le quartier de Wazemmes.
Ce soir-là, comme à l’accoutumée, j’allais diner au restaurant universitaire, passant dans la rue Charles Debierre, longeant l’église Saint-Sauveur. Souvent, l’hiver, près de la crèche, de pauvres gens s’abritaient sous un minuscule porche, se calaient le dos sur la porte et s’enroulaient, s’emmitouflaient, se couvraient et disparaissaient presque sous l’amoncellement crasseux de cartons, de journaux, de vieux tissus et de couvertures élimées. Quelque que soit la température, ils étaient là, à deux pas de l’église et même si je passais en toute hâte, forçant le pas, je les savais là, je les sentais à ma gauche quand j’arrivais à hauteur de la porte d’entrée de la crèche. C’était devenu comme une habitude de les savoir à cet endroit mais une habitude à laquelle je ne pouvais m’habituer. Je me sentais impuissant et révolté qu’ils passent la nuit là et qu’ils ne puissent dormir sous un toit, dans une église.
Ma main fourragea dans mes poches mais le livre n’y était pas. Une respiration plus appuyée, mes mains qui se serrent fort. J’allais devoir laisser trainer mes yeux tout autour. Je n’aimais pas ça. C’était justement pour ne pas avoir à faire ça que j’emmenais toujours un livre sur moi, pour me donner de la contenance et m’oublier dans la lecture.
Elle enroula alors un doigt dans une mèche de cheveux blonds. Je le regardai furtivement. Des yeux clairs, vert je crois. Je n’avais pas la force d’appuyer mon regard. Une petite bouche surmontée d’un nez retroussé. Elle n’était pas vraiment belle, mais elle avait beaucoup de charme. Elle me fit penser tout de suite à Sonia. Elle ne lui ressemblait qu’un peu mais elle me fit penser à elle. D’une certaine manière, ce n’était pas très étonnant puisque je pensais à elle tout le temps. Je n’arrivais pas à la chasser de ma tête. Partout, en ville par exemple, quand je trainais, je croyais l’apercevoir. Mais j’étais constamment déçu, il me fallait attendre le soir en espérant qu’elle soit là avec ses amis pour la voir. Quelque fois je me postais en bas de son immeuble et j’attendais là, comme un idiot, espérant la voir ou je ne sais quoi d’autre qui n’arrivait évidemment jamais. Je me comportais constamment ainsi, comme si j’ étais un véritable demeuré, ignorant tout de ce que pouvait attendre, espérer et désirer une jeune femme.
A présent, elle fouilla dans son sac et il me sembla qu’elle y cherchait un miroir. Je fus comme triste. C’était idiot. Je m’imaginai sans doute qu’elle pouvait tomber amoureuse de moi ou quelque chose comme çà. Pourtant c’était Sonia qui m’importait alors pourquoi fantasmer sur un inconnue que je ne reverrais jamais plus, je ne me l’expliquais pas. Une certaine bêtise. Ou une naïveté sans intérêt.
Elle referma son sac et nos regards se croisèrent. Cela me parut très long mais je n’eus pas le temps de rougir, la rame se disloqua.
Il y eut la poussière, le verre brisé, les gémissements et cette fumée âcre qui avait empli tout le tunnel à présent dans le noir à peine éclairé par les lampes de secours.
Je reprenais connaissance et ma première pensée fut pour elle. Je la cherchai. Je fis quelques pas, titubant, écrasant le verre sous mes pas dans un silence inquiétant. Elle était étendue plus loin et à sa posture, je sus qu’elle était morte.
Je ne la connaissais pas mais ce fut comme si tout c’était figé. Comme si un poids énorme s’était déposé sur mes épaules et qui m’obligeait à ployer, à m’asseoir, à m’affaler à ses côtés, les oreilles sanguinolentes.
J’étais là et pourtant je n’étais plus là, ou plutôt je ne voulais plus être là mais pour autant, je ne savais pas où je voulais être. Je ne savais plus rien. Je ne voulais plus rien. Je voulais que tout cela s’arrête.
Il y avait d’un côté mon corps, couvert de plaies, ce qui d’ailleurs ne m’inquiétait pas plus que cela et d’un autre côté, mon esprit qui s’enfuyait, apeuré et qui se serait faufilé par un trou de souris pour se réfugier n’importe où, là où il n’y aurait rien, pourvu que cela soit possible.
Les secours arrivèrent et ils me trouvèrent blotti contre elle.
Plus tard, ils en déduisirent que nous avions vécu ensemble.
Je ne démentis pas. Cela aurait servi à quoi d’ailleurs ? Et puis cela donna presque un sens à ce qui n’en avait pas.
Commentaires
Très belle histoire .
Ce personnage est très sensible, et nous démontre la colère qui l'envahit en voyant ces pauvres gens sans abri ; et qu'il est impuissant devant cette misère ( l'égoïsme et l'indifférence de nôtre société )
Et puis cette tragédie dans ce métro , nous démontre encore cette grande générosité et sensibilité , qu'il cache en lui .
Que cet auteur continue à publier ces intéressantes nouvelles .