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  • On ne change pas les rayures du zèbre !

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    Emission Le Zapping d'Inter sur France Inter du 17/04/10 ; invité : Régis Jauffret.

    Gérard Depardieu interviewé à propos de la sortie du film Mammuth raconte : « [...] La beauté, ça se donne, c'est la laideur qui résiste, tu vois et bien la laideur c'est justement, les exercices de force [...] non, on a pas le temps de s'emmerder à ne pas aimer et c'est tout. Je veux bien être l'abruti du village, l'innocent mais je préfère retourner ailleurs où des choses m'élèvent plutôt que de me rabaisser à essayer de corriger une certaine connerie. »

    « Depuis quand vous êtes comme çà, Gérard Depardieu ? » demande l'intervieweur :

    « Depuis toujours, toujours oui, je veux dire, tu sais, on ne change pas les rayures du zèbre ! » répond Gérard Depardieu.

     

  • Appelez-moi Ismaël

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    Toujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

    « Appelez-moi Ismaël ». Herman Melville, Moby Dick.

     

    Appelez-moi Ismaël. Et je me reconnaitrai.

    Je suis né un jour de crachin et ma mère n'a rien trouvé de mieux que de m'appeler Bruine. Bruine, pour un garçon, c'est idiot. Pour une fille, à la rigueur. Mais pas pour un garçon. Alors appelez-moi Ismaël, je préfère. Hormis ce prénom que je porte sur mes épaules comme un prisonnier son boulet, je n'ai que peu de reproches à faire à mes parents. Ils ont toujours été à mes côtés avec bienveillance.

    Je me souviens de longues ballades en forêt avec notre chien Tom un basset bougon, à la bave éclaboussante, qui me charriait dans les herbes hautes et les petits cailloux quand je tentais de l'agripper par ses poils roux, entrainant mes jambes chétives d'enfant dans de courtes mais remuantes ballades. Je me rappelle aussi du torchon à carreaux délicatement posé sur le saladier de pâtes à gaufres, de la bière spumeuse et de son odeur quand mon père décapsulait la bouteille. Je peux me remémorer tant de souvenirs gais, suaves, légers, heureux, complices et charmants alors que tous les autres, les banals, les insipides, les exaspérants, les désagréables et les ordinaires des journées qui se répètent et qui s'étirent en un ennui infini, telle la pâte sucrée chaude et collante que le confiseur travaille pour en faire de délicieuses sucettes, ont disparu de mon esprit.

    Ma tête est comme un faitout où a bouillonné un méli-mélo de bons et de mauvais souvenirs et qui ne m'a laissé au final que le meilleur. Tout retenir ne serait pas humain. Mais pourquoi ai-je évacué tout ce qui ne m'était pas agréable ? Je ne parviens pas à comprendre cela et à présent, je crois que cette particularité a forgé ce que je suis. Nous sommes ce que nous avons été et nous serons ce que nous sommes aujourd'hui. Voilà. J'aime m'appeler Ismaël mais cela ne me rend pas heureux pour autant. Pourtant j'ai l'impression de ne rien manquer. J'ai une épouse charmante qui ne s'est pas encore sauvée avec les clefs de ma voiture et ma CB. J'ai deux enfants tout aussi charmants qui n'ont pas encore fait leur crise d'adolescents et ma maison, je la trouve plutôt réussi avec sa véranda à stores automatisés. Je n'ai jamais été au chômage et mon taux de cholestérol est dans la norme. Alors quoi ? Ne devrais-je pas être heureux ? Si, bien sûr. Mais à bientôt quarante-cinq ans, ne serais-je pas capable d'autre chose ? Il est peut être encore temps...

     

  • Je ne m'intéresse pas à la culture

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    Emission Tout arrive sur France Culture du 19/04/10 avec une rediffusion d'un entretien avec James Ellroy, auteur entre autre de Le dahlia noir, aux éditions Rivages noir.

    James Ellroy interviewé raconte : « [...] dans une très grande mesure, je ne m'intéresse pas à la culture. Je n'ai pas d'ordinateur. Je n'ai pas de téléphone portable. Je n'ai pas de téléviseur. Je ne lis pas le journal. Je ne vais pas au cinéma et je ne m'intéresse pas à l'actualité. Je vis une vie protégée dans l'isolement. J'évite d'être stimulé par quelque source d'information que ce soit. J'aime bien être allongé dans le noir pour pouvoir réfléchir et me plonger dans cette époque qui va de 1958 à 1972 uniquement. »

     

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  • Si vous voulez vraiment que je vous dise

    attrape.coeur.gifToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

    « Si vous voulez vraiment que je vous dise, alors sûrement la première chose que vous allez demander c'est où je suis né, et à quoi ça a ressemblé, ma saloperie d'enfance, et ce que faisaient mes parents avant de m'avoir, et toutes ces conneries à la David Copperfield, mais j'ai pas envie de raconter ça et tout ». J.D. Salinger, L'attrape-cœurs.

     

    Si vous voulez vraiment que je vous dise, alors sûrement la première chose que vous allez demander c'est où je suis né, et à quoi ça a ressemblé, ma saloperie d'enfance, et ce que faisaient mes parents avant de m'avoir, et toutes ces conneries à la David Copperfield, mais j'ai pas envie de raconter ça et tout. J'ai pas envie de vous débiter tous mes petits malheurs, mes petits chagrins de fils de bourge. « Y a toujours plus malheureux que soi. » ressassent à longueur de journée mes parents et pour une fois, ils ont fichtrement raison.

    Mes parents, ils m'ont tout donné. Y avait qu'à claquer des doigts et hop ! J'avais tout ce que je voulais. Un petit chiot ? Clac ! Le panier d'osier prenait place dans la cuisine près du poêle en fonte. Une nouvelle raquette de tennis ? Clac ! La housse, un matin, noire et blanche, s'était lovée dans le canapé près de l'accoudoir élimé avec un petit ruban couleur or. Une nouvelle mob ? Clac ! J'entends encore mon père la démarrait dans la cour et le panache de fumée noire qui sortait du pot inox de la mob m'avait rendu fou de bonheur. Y avait qu'à demander et ça arrivait...

    Non, je vais pas vous parler de tout ça. Ca n'a aucun intérêt et puis maintenant, j'en ai presque honte d'avoir été pourri ainsi. Je crois que ça m'a rendu con. A petit feu. Sans m'en rendre compte. Recevoir tout le temps sans jamais rien devoir, ce n'est pas bien. Ca vous apprend pas la vraie vie. Celle où vous recevez des baffes si vous vous bougez pas les fesses. Celle où vous prenez des torgnioles quand vous vous écartez du droit chemin.

    Non, je vais plutôt vous raconter ma journée d'hier. Une journée comme il y en a pas tant et qui vous ouvre l'esprit mieux qu'un ouvre-boite. Je m'étais levé grincheux, comme à l'accoutumée et puis j'avais envoyé promené mes parents, comme toujours. Une journée ordinaire en somme. J'avais trainé avec ma bande, fumant trop, buvant trop, m'ennuyant et faisant toujours un peu les mêmes conneries. Le soir, avec les potes, on était sorti en boite et on avait pris ce qu'il fallait pour bien se vider la tête. Quelques litres d'alcool fort pour oublier tout ce qu'on aurait pu être et tout ce qu'on aurait pu faire, si on avait été un peu plus courageux.

    Et maintenant, je suis dans cette petite cellule grise, terne, pourrie, qui sent l'urine et un tas d'autres trucs puants. Une cellule de dégrisement qu'ils appellent ça. Je me rappelle de presque rien. Je sais que je conduisais et qu'on s'est pris un arbre, après le petit bois. C'est con parce qu'à cet endroit-là, il n'y a rien, à part ce fichu arbre sur lequel la voiture est venue s'encastrer. Ce doit être un signe. Comme un avertissement pour que cet unique arbre à cent pas à la ronde, un hêtre je crois, ait fait un pas de côté en direction de la bagnole. Résultat, mon pote, celui qui était sur le siège passager est dans le coma. J'espère qu'il va s'en sortir et aujourd'hui, j'ai l'impression d'avoir pris dix ans, d'un coup, comme ça et c'est au moins ce que m'aura apporté cette fichue journée. Voilà. Une journée de merde en apparence. Mais pour des cons comme moi, y a qu'une journée comme çà pour vous mette du plomb dans la tête. Et c'est à présent chose faite.