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Il fallait de la méthode

Thierry Jonquet.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.
« Il fallait de la méthode ». Thierry Jonquet, Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte.

Il fallait de la méthode. Réfléchir à l'avance quelle réaction à adopter dans chaque circonstance bien particulière. Laisser faire mon instinct et je courrais à l'échec. Non, du pragmatisme et de la méthode, voilà, ce qu'il me fallait. Je me munis donc d'un carnet à spirale et d'un stylo noir performant afin de faire un premier jet de ce que je décidais d'appeler : PDB, le plan du bonheur.
Bonheur est un mot sans doute un peu fort. Bienveillance ou empathie, conviendraient sans doute mieux. Commençons par des choses simples pour mon PDB et ne nécessitant pas de gros efforts. Presque quotidiennement, je prends la voiture pour aller travailler. Sur le trajet, au lieu de m'énerver, tempêter, donner de brusques coups de volants, appuyer sur l'accélérateur avec des pieds lestés de plomb, lancer des noms d'oiseaux bien à l'abri derrière mon pare-brise en verre feuilleté à d'autres conducteurs qui n'ont aucune chance de m'entendre et qui peuvent à défaut tenter de deviner mon charmant état d'esprit d'après ma gestuelle pas toujours délicate, je mettrai un CD classique dans l'autoradio et me laisserai porter par la musique. Bach m'obligera à ralentir. Mozart et ses Noces de Figaro m'inviteront à davantage d'égard pour les piétons qui s'engagent sur la chaussée et enfin quand un embouteillage pointera son petit nez, Rossini et ses interminables ouvertures m'inciteront à laisser passer un véhicule même s'il n'a pas la priorité. En un mot, de la civilité.
Au travail, quand mon supérieur, avec son air hautain (qu'à présent je ne critiquerai plus jamais) me montrera la voie à prendre, je ne sourirai plus béatement, je ne dirai plus non plus, « Vous avez bien raison Mme [...] » ou « Je suis d'accord avec vous ». Non, je lui répondrai que ma qualité de subalterne ne me permet pas de m'exprimer avec toute la latitude attendue mais que néanmoins je ne suis pas tout à fait sûr, si je puis m'exprimer de la sorte, que sa position sur le sujet soit en parfaite adéquation avec ce que je crois être la mienne. Après avoir avalé une grande goulée d'air et pris l'exacte mesure de ce qui pourrait être les conséquences de mon ânerie, je lui souhaiterai, sûr ce, une excellente journée. Je crois qu'il est de notre devoir, de temps à autre, de montrer notre détermination à nos supérieures. Cela fait aussi partie du PDB. Et puis cela me rappelle une phrase de la comtesse d'Houdetot, « Quand on a le malheur d'avoir plus d'esprit que son supérieur, il faut paraître en avoir moins ».
Je fermais mon carnet à spirale. J'étais exténué et il valait mieux que je finisse sur un trait d'esprit qui n'était pas le mien que sur une hypothétique conversation avec ma supérieure hiérarchique.
Le bonheur était finalement quelque chose de bien fatiguant. Quel pari stupide que j'avais fait à une soirée entre amis que celui de m'évertuer à faire le bonheur autour de moi pendant une semaine. Je n'ai pas encore commencé mon plan d'attaque qu'il me semble déjà exténuant : penser à tout ce qu'il convient de faire pour éviter d'être désagréable, agressif, grossier et antipathique me donne presque envie de continuer à me comporter comme le parfait citoyen cynique, égoïste, bête et détestable.
Je comprends pourquoi la bêtise avec la monstruosité, comme l'a écrit Thierry Jonquet, est la chose du monde la plus répandue et pourquoi il y a si peu de braves gens en ce monde.

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