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Quand il se réveillait dans les bois

laroute.jpgToujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

« Quand il se réveillait dans les bois dans l’obscurité et le froid de la nuit il tendait la main pour toucher l’enfant qui dormait à son côté ». Cormac McCarthy, La route.

Quand il se réveillait dans les bois dans l’obscurité et le froid de la nuit il tendait la main pour toucher l’enfant qui dormait à son côté. C’était un geste presque enfantin, comme celui d’un petit qui touche son doudou pour se rassurer des ténèbres inquiétantes qui l’entourent. Mais aujourd’hui, ce geste avait une signification toute particulière. Sept jours. Sept jours, à la minute près – il avait vérifié avec sa montre – qu’il avait quitté sa folle de femme et qu’ils s’étaient enfuis, lui et son fils, pour aller vivre au grand air.
Il ramena son bras dans son sac de couchage. En cette saison, la froidure était déjà âpre. Mais plus encore, la nuit, l’humidité pareille à de petites fourmis envahissantes, s’infiltrait partout, sous les couvertures, les vêtements et les sous-vêtements et semblait même glacer jusqu’aux os. Il eut un frisson.
Il pensa au confort de son ancienne maison et s’imagina son épouse sous la couette. Elle devait bien profiter de tout ce qu’il lui avait laissé. Il aurait du arranger les choses, de telle manière qu’elle ne puisse plus en profiter, cette salope. C’était son seul regret. Avoir laissé sa femme dans de telles dispositions.
Celui qui est bien au chaud sous sa couette, en cette fin d’octobre, n’imagine pas un instant ce qu’un père et un fils, en pleine forêt, peuvent endurer la nuit dans leur sac de couchage. A cette idée, il se leva brutalement, s’extirpant difficilement du sac de couchage et frappa de toutes ses forces dans une grosse branche qui traînait à terre. Il hurla. Dans l’obscurité ce qu’il avait prit pour une branche n’était que les racines d’une vieille souche rabougrie. La douleur était atroce et lancinante. Il s’était sans doute cassé un orteil et sa rage explosa, déversant un torrent d’insanités et de grossièretés : « Salope… salope… salope… salope… je vais venir… gamberges pas trop car j’ai plein d’idées pour te faire passer le temps dans ta baraque de merde…
Puis sans aucune raison, il se mit à courir. La douleur était horrible mais sa rage se distillait dans ses muscles à mesure qu’il bondissait entre les racines des arbres comme un animal affolé en évitant les fûts gris à peine éclairés par le clair de lune. Le ciel ennuagé étirait des filaments brumeux et laiteux devant l’astre de la nuit, et l’homme, ombre inquiétante qui courrait sans but dans ce labyrinthe végétal, continuait de brailler comme un démon. Il insultait sa femme, il insultait les arbres, la terre, les feuilles, les oiseaux et les bêtes qui fuyaient sur son passage. Tout lui était prétexte pour qu’il abreuve d’invectives la terre entière et sa mère si elle avait été encore en vie. Sa bouche était devenue le creuset du diable où les mots se mélangeaient en une infâme bouillie et en ressortaient aiguisés comme des couperets, tranchants comme des couteaux, affutés pour blesser et salir tout ce qui l’entourait.
Ses jambes l’emmenèrent loin et quand les premiers rais de soleil réchauffèrent le tapis de feuilles rouges et brunes au pied des arbres, il courait toujours la bouche entre-ouverte, déversant des torrents d’immondices. Il hurlait aussi qu’il les voyait mais qu’ils ne pouvaient rentrer dans sa tête. Que personne n’avait pu creuser son occiput et qu’ainsi, ils ne pourraient pas l’atteindre pour le rendre fou. Et qu’ils devraient attendre qu’il meurt, pour qu’ils lui bouffent ses yeux et passent par le passage des orbites.
Le soir, l’enfant fut retrouvé. Amaigri, épuisé par le froid, il put rejoindre sa mère.
Quant au père, son cadavre fut aperçu par un pêcheur une semaine plus tard dans le petit ruisseau qui bordait le bois.

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