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J’avais vingt ans.

Toujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

Paul Nizan, Aden Arabie : "J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie".

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J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. Ce n’était pas tant ma situation matérielle qui m’oppressait, bien qu’elle n’était pas enviable. C’était plutôt un sentiment, un mal-être même, qui se distillait sournoisement dans mes veines encore jeunes, m’obscurcissant l’avenir et l’esprit mieux que le malheur. Tous les chemins, même les plus sinueux, m’étaient offerts et j’aurais du en être satisfait. Mais cette liberté, ces multiples possibilités, ces hasards de la vie qui allaient frapper à ma porte, m’inquiétaient, m’oppressaient plutôt qu’ils me rassuraient. Cela parait absurde maintenant mais mon caractère est sans doute responsable de mon dégoût pour cette période de la vie.
Les autres m’apparaissaient comme des étrangers. Moi-même avec des boutons blancs et rouges qui mouchetaient ma face, je ne me reconnaissais plus : mon corps dégingandé, gauche et boutonneux et qui m’échappait, m’était étranger. Comment aurais-je pu faire un pas vers une femme, séduire, plaire alors que moi-même, je me dégoutais presque.
Et plus je me claquemurais, plus toute cette merde me remontait à la gueule. Les jours passaient, s’étiraient en de longs et ennuyants chapelets d’heures que je tentais de garnir par d’inutiles futilités : acheter un morceau de foie de porc, me balader sur la digue, solutionner ou plutôt ne pas parvenir à résoudre un problème de mathématiques, me tartiner de crème anti-acnéique…
Les week-ends, je les exécrais. Je préférais encore la semaine où j’avais l’illusion que mon emploi du temps d’étudiant remplissait ma vie : il y avait des colles, des cours, des TP pour m’empêcher de respirer les miasmes de mon existence. La fin de semaine, c’était autre chose : il n’y avait rien. Jamais rien de prévu. Comme tout m’était offert, je ne faisais rien, ou presque rien. Et cela dura plusieurs années avant que je rencontre à la bibliothèque l’improbable : Crime et châtiment à la main, un sourire au coin des lèvres, elle passa sa main dans sa longue chevelure et tout changea :
J’étais encore un enfant, elle me fit homme.

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