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Il était une fois, un vieil homme, tout seul dans son bateau, qui pêchait au milieu du Gulf Stream

Le vieil homme.jpg Toujours le même principe : à partir de la première phrase d'un roman, écrire une nouvelle.

« Il était une fois, un vieil homme, tout seul dans son bateau, qui pêchait au milieu du Gulf Stream». Le Vieil Homme et la Mer, Ernest Hemingway.

Il était une fois, un vieil homme, tout seul dans son bateau, qui pêchait au milieu du Gulf Stream. Il avait tant ramené de poissons, tant promené sa silhouette pataude sur le pont et dans les embruns, tant navigué sur son vieux chalutier rouillé, que son cœur s’était gorgé d’eau, de sel et de solitude. Perdu au milieu des flots, loin de tout, des hommes, des terres, du bruit des mots, de la musique, des pas des hommes, il se plaisait : là, perdu dans l’immensité bleue, était sa place.
Pendant presque un demi-siècle, son chalutier l’avait conduit à suivre les courants chauds et les bancs de poissons. Il y a longtemps, c’était un art, un exercice périlleux, une habile technique qui s’apprenait laborieusement et patiemment avec le temps : connaître la météorologie, les vents et les nuages, suivre le vol des oiseaux, examiner l’écume, goûter le sel de l’eau… Maintenant c’était plus triste. Il n’y avait plus que des points qui scintillaient sur l’écran vert de son sonar. Ça bougeait, ça se regroupait, ça ondoyait et lui suivait du mieux qu’il le pouvait avec les quelques tonnes de ferraille que son antique diesel tachait de pousser. La coque craquait, gémissait, criait sous l’effet du tangage et fréquemment quand les éléments se déchainaient, quand le ciel et l’eau n’étaient plus qu’un, que le vent sifflait à rendre fou et les vagues déferlaient, jetant leur écume baveuse partout et que le vieux bateau enfournait, ployant sous le paquet de mer, noyant sa proue dans la vague, le vieux marin espérait presque le naufrage.
Là, il avait vécu, vibré, sué, espéré, frémi et vieilli.
Là, il voulait mourir.
Il les distinguait ces bras d’eau, lugubres, froids, glaçants, qui l’entouraient, l’encerclaient, l’étouffaient pour l’entraîner lui et son rafiot, dans sa dernière demeure, dans ce qui sera son tombeau dans la froideur et l’obscurité des fonds marins où il espérait que quelques sirènes voudraient lui prendre la main pour le rassurer. Car il avait beau être marin, vaillant, brave et ardent, avoir le muscle sec et puissant, le regard vif et bleu, le front haut et un cœur d’irlandais, la grande faucheuse qui cogne à la porte de sa cabine le faisait frissonner. Son bateau disloqué, fléchissant sous les paquets d’eau de mer et plongeant dans l’abîme, il l’imaginait. Le fluide glacé inondait la cabine, montait inexorablement, et pénétrait en tout, comme un venin dans des veines. Sa bouche, ses fosses nasales, sa gorge, ses poumons cherchaient désespérément quelque bouffée d’air salvatrice. Mais rien. Rien que le silence, le froid, l’obscurité et des bulles qui s’échappent vers la surface qui s’éloigne à jamais.
Aujourd’hui la mer était calme comme un lac, pas une vague, pas une ride sur cette plate immensité. Et le vieux marin, un rictus au coin des lèvres sèches, ajustant son bonnet et portant son regard loin, très loin, là où les goélands se perdent dans les nuages, pensa que la faucheuse, toute de noire vêtue, pouvait toujours l’astiquer sa faux et la ranger au placard.
Aujourd’hui il allait pouvoir pêcher, sereinement.

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