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  • Une maison (fin de la nouvelle)

    medium_thumb_16_15_6_thumb.jpgEn s’approchant un peu, des chênes centenaires semblaient faire un pas de côté pour nous laisser entrevoir une mince partie de la façade. De plus loin, un rideau vert, entremêlement visuel de branches de conifères, de buissons et de feuillus, barrait la vue aux curieux et était le meilleur garant de la tranquillité des hôtes.
    De l’arrière de la bâtisse, la situation était totalement différente. La terrasse en tec surplombait un gazon digne des terrains de golf qui se dérobait rapidement sous les jambes des invités qui ne prenaient garde de la pente extrême du jardin.
    Sur le côté droit, il y avait un appentis faisant office de réserve de bois pour l’hiver.
    Plus loin, des champs de blé.
    En entrant dans la maison, on aurait pu entendre comme à l’accoutumée, les cris des enfants rebondissant comme des balles en caoutchouc sur les boiseries lasurées, résonnant dans le long corridor du bas et montant en faisant vibrer jusqu’aux portes du palier. Mais aujourd’hui tout était bien calme. Une seule chambre d’hôtes était occupée et les locataires du lieu étaient bien silencieux. On aurait pu aussi remarquer un léger effluve provenant de la cuisine, un subtil parfum à peine perceptible comme un délicieux chatouillement odoriférant nous rappelant quelque chose de notre enfance. Cette odeur exquise qui nous faisait saliver dans les moments rares où nous rentrions dans une confiserie. Il y avait cet homme ou cette femme qui enroulait d’un geste lent la pâte sucrée et colorée qui finissait par être découpée en sucettes.
    La maîtresse de maison avait en effet un petit péché mignon, celui de fabriquer et de déguster des sucettes et des berlingots aux mille parfums : ces venues traditionnelles à feu ouvert, fraise, pomme, framboise, citron, cerise, groseille, orange, cassis… Elle les essayait toutes, au grand ravissement de ses invités. Mais à cette heure de l’après-midi, nulle odeur, nul parfum ne s’échappait des casseroles en cuivre. Il n’y avait que cette pluie fine, ce crachin qui s’évertuait à glisser le long des carreaux, apportant aux lieux cette odeur si caractéristique de l’air humide.
    En poussant un peu plus loin l’exploration de la maison, on aurait pu remarquer un vase mauve renversé qui avait répandu son contenu sur la moquette de l’étage. Sans doute une bêtise de plus à mettre sur le compte de Fanny, la jeune chatte au pelage roux de la maison. Elle avait dû poursuivre un mulot et avec la sellette en merisier sur son chemin, l’accident avait été inévitable. Mise à part les roses rouges et blanches piétinées, on aurait pu aussi remarquer que les vestes et manteaux étaient restés accrochés au portemanteau du bas, près de la porte de la cave. Les hôtes n’étaient donc pas sortis car avec cette pluie froide qui vous mouille imperceptiblement mais sûrement, une veste protectrice s’imposait.
    Pour autant, un silence glacial dévorait la demeure. Pas un bruit de vie ne troublait la quiétude des lieux. Seulement le tic tac rieur du carillon du séjour.
    En cherchant un peu, un œil curieux aurait décelé une anomalie dans le corridor du rez-de-chaussée. Extérieurement, la bâtisse avait une forme simple, rectangulaire. Intérieurement, le corridor du bas n’était pas rectiligne, son allure concave dissimulait une cloison secrète.
    Après avoir poussé le mécanisme ingénieux qui dégageait la cloison, nous aurions pu nous engager dans l’escalier humide, nous faisant happer par l’obscurité inquiétante. Une ampoule poussiéreuse, plantée dans un plafond craquelé comme si on l’avait méchamment lancé du bas, ballottait sous l’effet des soubresauts du vieil escalier en bois et lançait ses ombres effrayantes en tout sens.
    Sous nos pas, l’escalier entier chanta.
    En bas, le spectacle était épouvantable.
    Des corps enchevêtrés, éparpillés dans toute la cave. Rien ne semblait bouger. Il y avait cette chair, cet amas grassouillet de jambes et de bras qui flottait sur un océan de poitrines tantôt masculines, tantôt féminines. Dans un coin obscur, des dizaines de bouteilles vides avaient été abandonnées. Sur une table rustique en chêne massif, traînés une multitude de plats où des mains grasses avaient récuré jusqu’à la dernière miette.
    En s’approchant un peu, en prenant garde d’enjamber ces corps, nous aurions pu remarquer que les poitrines de ces pauvres diables se soulevaient. Lentement mais elles se soulevaient.
    Ce n’était finalement que le triste spectacle d’une fin d’orgie, d’âmes saoules comme des cochons, cuvant silencieusement leur alcool.